Le Motesine

8. Tonío

Tonío

Je la regarde s'éloigner avec les bras bien trop chargés. Je sais que le sac est trop lourd pour ses petites mains, mais je reste assis tranquillement en la regardant. Comme le connard que je suis.

Je n'ai pas envie de lui expliquer ma journée, parce que c'était vraiment une journée de merde.

Je n'ai pas envie non plus de me montrer agréable avec elle, car je vois où ça m'a mené.

Dans le domaine Motesine.

Ce putain de domaine Motesine. Je n'aurais pas cru y remettre les pieds un jour à vrai dire.

Je hais cet endroit, nous avons trop de mauvais souvenirs ici.

Je me revois courir après Julian dans les couloirs pour éviter son père quand il était en colère. Je revois sa mère jouer au piano dans la salle de réception dans l'aile Est de la maison. Je revois le corps de Balto qu'on a dû enterrer dans la forêt, j'entends même le rire de mon père quand il avait trop bu et que je croyais encore que c'était l'homme le plus fort de ce monde.
J'ai même dû emménager une des suites des invités, la même chambre où mes parents dormaient quand ils étaient encore en vie.

Ma mère est morte dans la pièce d'à coté. Son fantôme berce chaque mur, chaque espace comme des paroles de chansons qui ne s'en vont pas.

Je hais cet endroit.

Spikeview aurait été une bonne idée si Julian répondait à son téléphone. Je suis sûre qu'il est encore dans l'état où je l'ai laissé il y a 10 jours. Effondré de ce qui est arrivé à Lara et qu'elle ne veuille plus le voir ou même lui parler.

Même moi, quand je repense à cette nuit, aux larmes sur son visage, aux marques sur son dos et aux nombres de litres de sang qui a coulé dans la nuit, j'ai mon sang qui boue à nouveau. C'était une boucherie, l'entaille sur mon torse me prouve que j'ai encore failli y passer.

« Surveille Gabrielle De Luca »

C'est ce que j'ai fait, je l'ai suivi, j'ai mis des caméras chez elle, j'ai regardé cette fille nuit comme jour. Ce que je n'aurai pas pensé, c'est mon comportement d'ados prépubères à chaque fois que je me suis retrouvée face à elle. Gabrielle est bordélique, je dégueule sur toutes ses manies de s'éparpiller partout, elle est maladroite et je déteste les gens qui ne font pas attention. Elle est gentille, trop gentille et pure, trop pure pour le monde de la Cosa Nostra. Elle représente tout ce que je hais, tout ce que j'ai toujours évité.
Alors pourquoi elle m'a pris au dépourvu les deux fois où elle m'a insulté en italien ?

Je l'ai même embrassé pour prouver, je ne sais quoi, et puis j'ai failli la laisser partir sans surveillance, jusqu'à ce que je me ressaisisse et que je la trouve avec un bâillon sur la tête. Nikola Rossi l'a retrouvé et la veut.

J'aurais dû m'en douter quand il est apparu dans ce restaurant japonais, c'est ça qui m'a poussé à prendre l'ascenseur avec elle et à la suivre de plus près.

Et maintenant, je me retrouve enfermé avec elle dans cet endroit maudit.

Je n'aurais jamais dû l'enlever, je risque une guerre de clan entre les fidèles de Rossi et les fidèles des Motesine. Je n'avais encore moins le droit de l'embrasser alors qu'elle est promise à Julian.

Même si Julian préférerait mourir que d'épouser quelqu'un d'autre que Lara.

Putain, comment les choses ont pu autant dégénérer ?

Je me retrouve avec cette gamine et je n'ai aucun ordre à suivre.

Je fais craquer mes phalanges, elles sont encore endolories à cause d'aujourd'hui. Et enterrer ce mec dans un champ m'a épuisé. En fait, je ne sais plus depuis combien de temps j'ai dormi pour la dernière fois.

Je recule ma chaise et me lève, je monte les escaliers jusqu'au deuxième étage, ma chambre est juste au-dessus de celle de Gabrielle. Je ne sais même pas pourquoi j'ai pris le réflexe de regarder mon téléphone, j'ouvre l'application, et j'y vois le lit de Gabrielle à New york, vide. Je fais taire la partie de moi qui apprécierait presque d'être diverti par une nouvelle recette difforme de cette rousse implacable. Je retire mon pull, puis mon t-shirt d'une main, suivit de mon jogging et me jette dans le confort de mon lit sans lâcher le téléphone.

Je ne sais même pourquoi je fais ça, je déteste cette fille. Elle représente tout ce que je n'aime pas, la petite fille prodigue d'un sociopathe qui a été couvé comme une enfant gâtée. Un sociopathe qui est mort, et qui laisse sa fille sans aucune défense. Chose dont elle ne se doute apparement pas, et que j'espère qu'elle n'apprendra pas.

En sentant le sommeil m'emporter, j'arrive presque à me convaincre de ce mensonge.

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💦 Bonne lecture 💦