Recode

Reconnection

Les pieds enfouis dans le sable humide, Duo regardait au loin les champs de végétation marine onduler sous les flots. Les embruns matinaux fouettaient son visage et faisaient virevolter ses cheveux en apportant avec eux un parfum âcre, mêlé à une fraîcheur vivifiante.

Ferme les yeux.

Respire.

Les algues lui caressaient les chevilles.

Son pouls s'apaisa, laissant place à une forme de sérénité.

Le sol qui grondait sous ses pieds nus lui transmettait son énergie brute.

Les trois amis s'étaient jurés dès la première heure de ne jamais ébruiter le rôle qu'ils avaient joué dans les événements. C'était un fardeau qu'ils portaient ensemble, un poids qui les poussait à œuvrer pour un avenir meilleur. Ils étaient déterminés à ne pas répéter les mêmes erreurs.

Malgré sa nouvelle vie, Duo ne pouvait s'empêcher de repenser aux derniers jours de leur enquête, rejouant inlassablement la séquence de leurs actions. Y avait-il eu une faille, une opportunité qu'ils avaient manquée, qui aurait pu sauver celle qui avait réussi à toucher son cœur ?

Une vague s'écrasa contre ses jambes dans un fracas d'écume, sortant Duo de sa torpeur. Les rires de l'équipe de basse mer ricochèrent sur les rochers.

C'était le moment d'y aller.

Ils partirent quelques instants plus tard et arrimèrent leur bateau dans une crique, à l'abri des courants. Les femmes plongèrent à tour de rôle, tandis que les hommes triaient leur précieuse moisson. Ils rejetaient les tiges les plus coriaces dans l'océan et mettaient les coquillages que les mouettes n'avaient pas réussi à leur chaparder à l'abri dans des paniers.

Pendant ces sorties en mer, les murmures des milliards de disparus se taisaient enfin, balayés par l'effort et la certitude d'agir pour le bien de tous. C'était ce que Duo avait trouvé de mieux pour garder la tête hors de l'eau.

La cargaison presque pleine, ils s'empressèrent de ramener leur récolte avant que le soleil ne devienne trop écrasant.

Tensor tournait en rond dans la salle qu'ils avaient emménagée pour orchestrer des séances de soutien.

— Ah ! Tu arrives enfin ! dit-il en regardant d'un air alarmé la file qui grandissait devant leur bâtiment.

— Victime de son succès, le brillant guide suprême finit piétiné par une horde de sujets impatients de trouver la paix ! répondit Duo en prenant un air solennel.

— Débile ! Aide-moi, au lieu de te foutre de moi ! Lucille n'est même pas venue aujourd'hui ! Elle nous laisse tomber comme des vieilles chaussettes pour cette usine de malheur.

Duo apaisa Tensor en lui tenant les mains. C'était presque devenu un rituel. L'un était presque devenu un gourou adulé, capable de faire redescendre sur terre les pauvres êtres perdus dans leurs songes, l'autre était devenu un expert pour le calmer !

Ils accueillirent les meilleurs apprentis du Disciple - une poignée d'entre eux avait même foulé le mythique ashram de Nvi - et ils entamèrent un long débat. Tensor accepta finalement de leur laisser la responsabilité complète des cours de base.

Alors qu'ils quittaient leur établissement, un messager les rejoint en courant.

— Il faut que vous veniez d'urgence au centre !

Il était en nage et peinait à reprendre son souffle.

— C'est Jack. Elle a réussi à faire redémarrer une machine à l'usine !

— Tu veux dire qu'on va pouvoir recommencer la production ?

— Je ne sais pas. Mais elle a dit qu'elle avait besoin de vous maintenant !

Duo se pinça le nez en ouvrant la porte du local de maintenance du complexe.

En avançant à tâtons entre les machines hors d'usage, ils dénichèrent Lucille, le nez collé à un écran rudimentaire.

Elle fit pivoter sa chaise à roulette.

— Vous n'allez pas me croire.

Ses mains tremblaient.

— J'ai trouvé comment redémarrer les systèmes. Tous les systèmes.

Duo devint livide.

Magic.

— Quels systèmes ?

— Tous. J'ai compris ce qui les bloquait. Et j'ai trouvé comment résoudre le problème.

Elle souriait d'un air triomphant.

— Regarde ! dit-elle en se retournant.

Elle fit défiler les lignes de codes, puis pointa son doigt sur l'écran.

— Là ! C'est la procédure de contrôle de version. C'est là que ça plante.

Duo se pencha pour lire les lignes à son tour.

— Mais ! C'est ... mon code ? Il n'y a même pas ma signature ...

— C'est un très vieux système, ça doit être une version simplifiée qui s'est déployée là-dessus. C'est du Windows ! Ha ! Tu parles d'une antiquité !

— Bon, et bien, il n'y a qu'une chose à faire : recode !

L'excitation montait.

— C'est ce que j'ai déjà fait ! Et voilà, cette machine tourne ! Mais ce n'est pas tout ... Du coup, j'ai pu me connecter sur le routeur du réseau et réaliser la même opération. Et visiblement, je n'étais pas la première à faire ça.

Elle enfonça une combinaison de touches et fit apparaître une nouvelle fenêtre sur l'écran.

— Tape "bonjour".

Duo fronça ses sourcils et se pencha sur le clavier.

"bonjour"

— Appuie là ! ajouta Lucille.

Elle tapotait son poignet nerveusement.

Quelques secondes plus tard, un message apparut en dessous du mot de Duo, dans une petite bulle verte.

"Bonjour, qui êtes-vous ?"

— Vas-y, répond.

Elle tendit la main et écrit :

"Duo Telni. Et vous ?"

*   *   *

FIN