17. A la recherche du bonheur

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HAZEL

La journée a été particulièrement éprouvante. L'enquête des flics retarde le programme du patron et il ne supporte pas ça. Par conséquent, il a été insupportable dès notre arrivée, redoublant de hargne jusqu'à notre départ.

En temps normal, je n'ai rien contre ce vieux ronchon qui passe son temps à gueuler et à pester contre les citadins, mais lorsqu'il s'y met, il peut devenir une vraie tête de con. Pendant huit heures, j'ai dû finir le bordé* d'un navire que nous aurions dû restituer à son propriétaire la semaine dernière. Avec cette histoire de meurtre et tous ces interrogatoires qui s'enchaînent, nous avons pris un retard considérable et j'ai bien peur que le papi n'explose de rage.

Depuis vingt ans, ce vieux loup de mer tient son chantier naval d'une main de maître. Ancien pêcheur, il s'est intéressé à la menuiserie à ses vingt ans et s'est ensuite plongé corps et âme dans ce métier. J'ai beaucoup d'admiration pour ce gars parti de rien et qui gère aujourd'hui l'une des activités économiques les plus rentables de la ville.

Quand mon beau-père est mort et que je me suis retrouvé enseveli sous les dettes, il a été le premier à me tendre la main pour m'offrir l'opportunité de me racheter. Son enseignement fut rude, éreintant, mais si riche en savoirs que je ne bronchais jamais. Avec lui, j'ai appris les bases du métier et bien plus encore, jusqu'à me perfectionner et atteindre le niveau que j'ai aujourd'hui.

Donc il peut crier autant qu'il veut, jamais je ne parviendrai à le haïr. Cependant, s'il peut cesser de se comporter comme un connard égoïste, je ne suis pas contre non plus.

En sortant du chantier ce soir, Max m'a proposé de venir boire des bières chez lui. J'ai failli accepter – ça m'aurait fait le plus grand bien – puis je me suis rappelé de cette satanée promesse faite à un gamin haut comme trois pommes mais avec une gueule plus grande que sa tête. Franchement, à quel moment de ma vie je me suis retrouvé contraint d'annuler mes plans avec un pote pour bouffer des burgers avec un ado téméraire ?

Lorsque j'arrive vers chez moi, je n'ai donc qu'un but : faire en sorte que cette soirée soit la dernière et que le gamin reparte suffisamment traumatisé pour cesser de me faire chier.

La nuit est déjà tombée quand j'atteins la passerelle. J'ai avec moi une lampe à pétrole afin d'avoir un minimum de luminosité et distinguer les traits de ce foutu ado.

Il est déjà là d'ailleurs, assis tout au bout des planches en bois, ses petites jambes battant dans le vide. Je grogne pour la forme, surtout inquiet qu'il soit arrivé avant moi ; je n'aimerais pas qu'il fasse des mauvaises rencontres en m'attendant.

J'arrive enfin à sa hauteur, ébouriffe un peu trop violemment ses cheveux puis, alors qu'il se débat en râlant, je m'assois à ses côtés. A peine mes fesses touchent-elles le sol que je pousse un profond soupir de soulagement. Enfin du repos...

— Dure journée ?

Je jette un regard moqueur au gamin en tirant mon paquet de clopes de mon pantalon de travail.

— Tu te prends pour ma mère ? me moqué-je ouvertement.

— Si j'étais ta mère, ça fait un bail que je t'aurais abandonné.

Je ricane entre mes dents et allume une cigarette.

— Quelle insolence, soufflé-je en me laissant tomber sur le dos.

— Tu fais quoi comme travail ?

— Charpentier de marine.

— Oh, tu travailles au chantier naval ?

— A ton avis ?

Je devine plus que je ne le vois l'air renfrogné de mon interlocuteur et retiens un petit sourire.

Raz de maréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant