9. GENERATION

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Il s'avère que le poste proposé n'est rien de moins qu'animatrice radio.
Je l'avoue, je dois m'incliner. Pierrot n'a pas fait dans la mesure. Cet enfoiré est producteur d'émission de radio ! Pas n'importe laquelle, « Génération », 88.2 FM pour ceux et celles qui sont en région parisienne. Il anime le 12H -15H avec son équipe pour le « Moment gênant » qui consiste, entre quelques tubes de reggae, rap, etc... de prendre des auditeurs au téléphone et d'écouter leur moment de gêne intense pour les juger au mieux.
Bizarrement, ça colle bien au personnage.
Il me présente à toute l'équipe tel un salaud sans âme et sans éthique. Il insiste sur le fait que je suis aveugle et ouvre les paris sur le jour où je retirerais mes lunettes.
Pour Artémis, il semblerait que la mise soit sur mes yeux à l'école du cirque. Pour Claquos, il a mis une cinquantaine d'euros sur un regard vide et bleu lagon.
- Pour moi, je dirais un regard doux et fragile.
Le ton emprunté créé un malaise pesant qui oblige les deux garçons à changer de sujet et attaquer sur le programme de la journée.
Pierrot se ressaisit et m'explique que notre journée commence à 7h. Nous nous rejoignons dans ce bureau pour préparer l'émission du jour. On travaille en binôme avec l'équipe de montage qui nous créé des slogans, des jingles à la demande. Et il termine par me dire qu'il faut traiter au minimum cinq sujets sérieux, plus ou moins, et actuels.
- Artémis est l'âne du groupe. C'est un peu notre schtroumpf maladroit. Claquos, c'est le mec sans classe, un peu bof mais attachant. Toi tu es la mégère. Tu vois le genre ?
Je reste immobile, debout près du mur et ne préfère pas répondre.
Au début, je me dis que tout ça n'est qu'une supercherie et qu'il m'a amené ici pour m'humilier. Je serre ma canne jusqu'à laisser mes doigts devenir tout blanc, supposé-je par le manque de circulation du sang, et hésite à l'assommer d'un grand coup sur la nuque.
- C'est de la radio, Montagnié, ce sont simplement des rôles, d'accord ?
Il arrive à apaiser mes envies de tortures et prend mon bras pour me ramener vers ma chaise.
Pour être honnête je suis plutôt bien accueillie et les hommes de mon équipe ont l'air assez sympa.
On se met à la tâche sans tarder avant même que l'on ne me parle de salaire, ou que l'on me présente un fichu contrat de travail. Mais je n'y pense pas non plus. Le simple fait d'être sortie de chez moi, d'avoir quelque chose à faire de ma journée me décoince un peu.
On prend notre première pause vers dix heures.
En traversant le couloir pour accompagner mes nouveaux collègues jusqu'à la cour pour qu'ils fument leur cigarette, je crois reconnaitre la voix de Christophe Maé. Je me fige, d'un coup, et m'immobilise jusqu'à ce que sa voix s'éloigne.
- Qu'est-ce qui t'arrive Montagnié ? me lance Julien.
- C'était Christophe Maé ?
- Oui, c'est ton patron, se moque-t-il en me tirant de nouveau par le bras.
What the fuck !
Je ne montre rien, parce que je suis une prétentieuse insupportable, mais bouillonne à l'intérieure de moi. Dans mon ventre, il y a une gamine de huit ans qui saute au trampoline sur mon intestin. Je suis partagée entre l'envie de faire ....
Je vais beaucoup trop loin.
Pour la faire courte, je suis excitée comme une ado.
Malgré la pause, on en profite pour peaufiner les sujets du jour.
11H40. Il faut que l'on choisisse entre les sept sujets que l'on a posé sur la table.
12H00 et on enfile tous nos casques. C'est le grand moment.
Mes mains sont moites et mon ventre gargouille. J'ai peur qu'il se fasse entendre à l'antenne. Bordel mais dans quoi je me suis fourrée ?
Mais l'émission se déroule plutôt bien. Très bien même. Artémis est comme un gosse, intenable et excessivement drôle, quant à Claquos, j'ignore vraiment s'il joue un rôle, il m'a l'air tellement naturel. Pierrot, lui, est le « Don Juan » à l'espagnol. Je souris à chaque phrase qu'il prononce parce qu'il faut l'avouer, ce mec a de la répartie.
15H00 arrive plus vite que je ne l'aurais voulu et j'entends les garçons qui s'activent à remballer casques et micros. Ils nous saluent et ne perdent pas de temps à quitter le bureau.
- Tu as cinq minutes à m'accorder ? me demande Pierrot...euh Julien.
- Pourquoi faire ?
- Pour te faire signer ton contrat et tout ce qui va avec.
Je hoche la tête comme une imbécile.
Après une petite heure de paperasse, je repars des locaux pour regagner le métro en me concentrant sur le bruit parisien et essaie de me familiariser avec chacun d'entre eux. J'attends d'être dans le RER, pour sortir mon téléphone et porter le fil de mes écouteurs le plus près de ma bouche pour faire un vocal à ma Lila.

« Meuf, tu ne vas jamais croire ce qui m'arrive !
Je viens de signer un CDD de 6 mois
pour un contrat en tant qu'animatrice radio à Génération ! »

Ni une ni deux, Lila me répond du tac-o-tac.

« P T N, mais c'est D-I-N-G-U-E »

Les échanges continuent jusqu'à ce que j'arrive chez moi. J'ai appris que Lila avait donné mon numéro à Marvin qui le lui avait demandé pour Julien. Elle a accepté non pas parce que c'est une vendue, mais bel et bien parce qu'elle était au courant du poste qu'il allait me proposer et que pour Lila, la radio serait mon pied à l'étrier pour mon rêve de devenir chanteuse.
Elle est vraiment adorable. Mais encore une fois, elle est crédule de croire que je pourrais un jour me laisser porter à l'antenne pour pousser la chansonnette. Je suis une femme qui a de l'assurance, c'est vrai, mais je n'ai jamais, même à l'époque où ma vue était sans faille, oser chanter devant d'autres personnes que les tocards de Marco.
Je fais tomber mes clés parterre et ronchonne en tâtonnant le ciment en essayant de remettre la main dessus. J'entends quelqu'un qui se baisse et le bruit de mes clés cliquètent.
- Tiens.
- JD ?
- En chair et en os. Ça fait un moment qu'on ne s'est pas vu.
Des papillons prennent leur envol dans le bas de mon ventre. Je sens mon sourire niais qui s'affiche sur mon visage et je ne peux me résoudre à le dissimuler.
- Tu m'invites à monter ? s'amuse-t-il.

J'opine de la tête et me maudit en montant les escaliers de me laisser ainsi porter dans toutes ces niaiseries qui m'insupportent habituellement. Mais en ouvrant ma porte d'entrée je suis excitée de raconter à JD la tournure qu'est en train de prendre ma vie.
Je l'invite à s'asseoir sans réfléchir et sors une bouteille de vin rosé du frigo. Je lui raconte tout dans le moindre détail et pars dans un monologue de plus de vingt minutes.
- C'est cool.
« C'est cool » ?
Je ne relève pas et rejette la faute sur le fait qu'il doit être déstabilisé par mon changement d'attitude.
C'est vrai, le pauvre, il y a quelques jours encore, je me contentais de me jeter sur lui à moitié nue, pour finir nue, complètement au bout de quelques secondes. Il faut qu'il se fasse à l'idée que je suis une femme qui peut avoir des choses à partager. Puis j'ai envie de suivre les conseils de Lila. Laisser ma carapace au placard pour essayer de construire quelque chose de solide avec cet apollon aux cheveux bruns.
Bon, ça c'était avant qu'elle ne retrouve un sachet de préservatif parterre avec la capote usagée dedans. Mais il a dû partir précipitamment. Il n'y a pas pensé voilà tout.
Je serre le vin avec maitrise, bien sûr mon index est plongé dans le verre pour que je puisse doser la quantité et ne pas en mettre partout mais ça va, nos langues font bien des tournicotti dans la bouche de l'un et de l'autre et ses mains connaissent mon intérieur mieux que mon gynéco. Ça ne devrait pas le gêner.
Je lève ensuite mon verre en attendant qu'il trinque à ma bonne nouvelle mais je me sens seule. Rien. Je garde la face et engloutis la moitié de mon verre d'un trait. Je retire mes lunettes sans réfléchir et frotte mes yeux qui me grattent atrocement, certainement dû à la pollution parisienne d'aujourd'hui.
- Ju, ne fais pas ça, putain ! s'énerve-t-il en se relevant du canapé.
Sur le moment je n'arrive pas à comprendre ce que j'ai bien pu faire et continue de frotter mon œil gauche.
- Oh...
Je me hâte de reposer mes lunettes sur le nez et le rassure en lui disant que tout est fini.
- Voilà, voilà.
- De toute façon, je dois y aller.
....................................................................................................................................................................................... Il est parti. Vraiment parti.
Non mais je rêve. 

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