13. LE DOLORES

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Chose promise, chose due. Une heure après, j'entends un goujat siffler en bas de la rue.
Ne me demandez pas pourquoi mais je vais sur mon balcon.
- Pourquoi tu sors Montagnié ? hurle-t-il. Tu vas tomber.
- Je descends, m'amusé-je.
Je demande à Alexa d'arrêter ma playlist et je tâte mon canapé pour retrouver mon téléphone.
J'enfile mes sandales qui se marient bien avec mon short en tissu bleu léger, enfin je crois et je rejoins Julien pour « un endroit sympa ».
- Si madame veut bien se donner la peine, me dit-il en m'ouvrant la portière. Attention à la tête.
Albert me salue et démarre la voiture.
- Enfoiré ! l'insulté-je en sentant le vent me fouetter le visage et décoiffer mes cheveux.
Je l'entends qui rit et se moque littéralement de moi.
Je suis dans une décapotable. Ma tête ne craignait donc rien, mais il semble toujours trouvé ça drôle. Après de longues minutes, Albert ralentit et manœuvre pour se garer. Julien ouvre la portière et me tend son bras.
- Laisse ta canne ici, dit-il en me la prenant des mains. Aujourd'hui je suis ton labrador.
Cet homme est fou.
Albert nous emboite le pas et bip sur les clés de sa voiture qui alerte absolument tout le parking souterrain qu'elle est verrouillée.
Nous arrivons à l'endroit tant attendu.

« - Bienvenue au Dolores, messieurs, dames, suivez-moi. »

« Le Dolores » ?
Mais c'est une blague.
Je déglutis et ralentis le pas. Julien s'arrête.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Où sommes-nous ? dis-je peu confiante.
- Tu vas voir, fais-moi confiance.
- Julien ! Le Dolores ?
Comme il n'est pas habitué que je l'appelle par son prénom il comprend mon doute et éclate de rire.
- Montagnié, ce n'est pas ce que tu crois, s'amuse-t-il.
- Je ne trouve pas ça drôle.
- Mais non, ne t'inquiètes pas, c'est un endroit tout ce qu'il y a de plus correcte. Je vais être tes yeux si tu le souhaites. Là nous passons devant une table avec une famille respectable. Monsieur est un peu bedonnant mais a une tête sympathique, dit-il à voix haute sans se cacher, madame en revanche n'a pas l'air très épanouie, je mettrais ma tête à couper qu'elle fricote avec le meilleur ami de Monsieur. Ne vous laissez pas faire, elles sont diaboliques.
- Mais arrête, dis-je gênée à moitié en train de sourire.
- Sur ta droite, c'est une table en tête à tête. Monsieur est bien plus âgé que sa jeune accompagnatrice, je doute fort qu'elle soit majeure ! hurle-t-il.
- Mais tu es dingue !
J'entends Albert qui ne peut s'empêcher de rire aux éclats. Il ne dit rien et semble avoir l'habitude des frasques de son pote.
- Là nous longeons un bar avec une charmante barmaid qui pense qu'elle fait à peine quarante-cinq ans, alors que tout le monde sait qu'elle est proche de la retraite, bisous Doly.
- C'est toujours un plaisir Julien, lui répond-elle agressive.
- C'est Dolores, la grande patronne !
- Tu connais tout le monde ici ?
- Non, je n'avais jamais vu la petite brune avec son vieux.
Il continue de rire et de me faire avancer encore et encore.
Je sens un rideau qui frotte mon visage comme si je passais dessous.
-Nous arrivons au point de sauvegarde.
- Le point de sauvegarde ?
- Oui, à compter de maintenant, tu peux faire absolument tout ce que tu désires. Tout est permis et tout reste secret. Lorsque nous traverserons ce point, tu reprendras le cours normal de ta petite vie.
- Julien ?!
Il m'agace avec ces énigmes à deux balles.
- Albert, je te laisse ouvrir la porte. Bienvenue au monde enchanté du micro d'argent !
La porte s'ouvre et la musique envahit mes oreilles. L'odeur est délicieuse. Un mélange de pâtisserie et de parfums élégants.
Je reste ébahie, la bouche ouverte et deviens certainement le véritable sosie de Gilbert Montagnié.
Il lâche mon bras et tire ma chaise pour m'aider à m'asseoir, non pas comme une aveugle mais belle et bien comme une lady.
Un serveur vient nous voir alors que nous sommes à peine installés. Il parle bien et donne la carte à Julien.
J'entends un homme parler au micro. Il remercie la jeune femme qui doit surement quitter la scène et en appelle une autre avant que l'orchestre ne se mette à jouer la mélodie de Ben E King.
Alors pour tout vous dire, je crois que je n'ai jamais été émerveillée comme ça de toute ma vie.
- Tu aimes ? me demande Julien.
Je me contente d'un signe de tête et même si mes yeux ne voient rien, je reste tournée vers elle. Je m'enivre de sa voix, de la mélodie, de ses émotions. Un frisson me traverse et mes yeux se ferment. Je me laisse emporter jusqu'à ce que le serveur nous ramène les pâtisseries et un cocktail à base de crème et de lait. Une sorte de brunch cinq étoiles et sans alcool.
L'après-midi se révèle bien plus sympathique que je ne l'avais prévu.
J'apprends qu'Albert ne s'appelle pas vraiment Albert.
- C'est Mouss, m'annonce Julien.
- Mouss ?
-Pour vous servir Justine.
-Pourquoi t'appellent-ils tous Albert ?
- Une anecdote du collège. Notre prof de Géo qui ne parvenait pas à se faire à l'idée qu'il puisse avoir un élève qui ne s'appelle pas Nathan, Kévin ou Gabin, alors il l'appelait Albert.
- Mais c'est horrible !
- Comme tu dis, Montagnié, tu vois il existe beaucoup plus insupportable que toi.
- Il faut croire, oui.
Puis les heures passent et on ne les voit pas défilées.
Je commence à trouver la compagnie de Julien de plus en plus agréable. Il a de la conversation, il est drôle.
Mais soudain, je veux demander à Siri si j'ai reçu un message mais j'ai beau tapoter sur tout mon corps, mon téléphone n'est pas en ma possession.
- Julien ! hurlé-je.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Mon téléphone ! Je l'ai laissé dans la voiture.
- Ce n'est pas grave, il craint rien ici. Ils doivent tous avoir deux Iphone 14 chacun ils ne vont pas te piquer ton 11.
- J'attends un message !
- Tu regarderas quand on te déposera.
Il m'énerve. Pour lui rien n'est grave. Tout est sans pression. Mais je veux mon putain de téléphone. Si jamais JD m'avait envoyé un message ?
- Je veux mon téléphone, dis-je sur un ton sec.
- Sérieusement ?
- Oui.
-Tu veux que je retraverse tout le parking pour que tu récupères ton téléphone ?
- Oui.
Je l'entends qui se relève et sens qu'il jette sa serviette nerveusement sur la table. Il demande les clés de la voiture à Mouss et part en trombe sans rien dire. Quelques minutes plus tard il me pose le téléphone brutalement devant moi.
- JD t'a envoyé un message, dit-il, énervé.
- Tu lis mes messages maintenant ?
- Je l'ai récupéré sur la banquette arrière et il s'est allumé. Je n'y peux rien si tu ne masques pas tes notifications.
Je suis à la fois sur le cul qu'il ait eu le toupet de lire mon message et excitée de savoir ce que JD me voulait.
Je me relève et prétexte une envie pressante.
Seulement, je suis debout et oublie que par le génie de Pierrot, je me retrouve sans ma canne.
- Tu viens ? lui dis-je comme si c'était évident.
- Tu veux que je te la tienne ?
- Très classe, pierrot. Non je veux que tu reprennes ton rôle de labrador.
L'ambiance qui était cinq minutes avant féerique et bonne enfant s'est transformée en quelques secondes en un conflit Russe-Ukrainien.
Au lieu de passer son bras sous le mien comme il a l'habitude de faire, il agrippe mon poignet et me fait traverser la salle à la vitesse de la lumière.
- Fais-vite, m'ordonne-t-il.
Je ne réponds pas et pousse la porte.
A l'intérieur, je souris et m'empresse de faire lire le message par Siri.

« Salut, j'ai oublié de te demander si tu n'avais pas vu mon porte carte ? Je ne trouve plus ma cb »

« Si je n'ai pas vu sa cb » ? Mais il se fout de ma gueule ? 

DANS LE NOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant