Chapitre 2 : Le choix de l'empereur

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Salieri avançait dans la grande salle sans porter attention à la discussion qui se passait dans son dos entre l'intendant Rosenberg et Gottlieb Stéphanie, librettiste de Vienne, visiblement en désaccord sur l'opéra commandé par l'empereur.
- Salieri, mon ami, vous imaginez ?
Rosenberg s'approcha de lui, pour l'intégrer au débat et obtenir son soutien, mais Salieri se contenta de le regarder exécuter une mauvaise imitation d'un chant allemand sans réagir. Un domestique annonça alors l'arrivée de l'empereur, qui s'assit dans le canapé avec aise. Aussitôt, l'intendant et l'auteur de livrets se précipitèrent près de lui pour le saluer et Antonio fut heureux d'être oublié. Peu intéressé par la scène, il s'empara d'une coupe de vin qui reposait sur un plateau tendu par un serviteur et il but une première gorgée. Tandis que Stéphanie abordait le problème de l'artiste qui mettrait son œuvre en musique, Joseph II remarqua enfin la présence du compositeur et il tendit le bras vers lui en souriant. Salieri s'inclina lentement devant lui, et l'autre n'en fut que davantage réjoui, le dévorant les yeux, ce que le concerné essaya d'ignorer. Rosenberg et Gottlieb recommencèrent à se disputer, ne remarquant rien de cet échange silencieux, et l'empereur, qui ne cessait d'admirer le bel italien, passa sa jambe par dessus l'accoudoir, comme pour quitter le canapé et rejoindre celui qui l'attirait autant. Mais alors qu'il s'apprêtait à bouger, l'intendant l'interpella finalement et Joseph II se replaça correctement, arrachant son regard de Salieri pour le porter sur les deux hommes qui ne se mettaient pas d'accord. Il prit enfin la parole, les coupant dans leur dispute.
- Dites-moi, Salieri, qu'en pensez-vous ?
Rosenberg fit un geste exagéré et théâtral.
- Oh bah alors là, Salieri, on est pas rendus.
Antonio haussa les sourcils face à ce commentaire, et il reposa sa coupe. Approchant lentement du canapé, il répondit, reprenant la critique du cynique agent impérial.
- Un jeune écervelé, votre Majesté, mais infiniment doué.
L'intendant se leva, protestant, mais déjà il continuait.
- Cependant, on ne peut nier sa jeunesse, et son inexpérience.
L'empereur réfléchit un instant, puis il annonça qu'il choisissait Mozart, à la grande joie de Stéphanie. Voyant qu'il n'avait plus rien à ajouter, Salieri quitta la pièce.

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De nouveau, Antonio était convoqué auprès de l'empereur, en compagnie de l'intendant qui ne cessait de pester depuis des jours à propos de Mozart. Ils entrèrent et saluèrent leur souverain.
- Ah ! Vous voilà ! S'écria Joseph II avec enthousiasme. Je voudrais que vous assistiez aux répétitions de l'opéra de demain. J'entends quelques rumeurs sur l'avancée du projet, et sur les conditions de travail du jeune Mozart, je suis un peu inquiet. J'aimerais que vous voyez la chose de vous même et que vous m'en fassiez un retour. Pour ma part, je vais déjà tâcher de le rencontrer.
Rosenberg roula des yeux.
- Je l'avais bien dit, minauda-t-il de façon presque inaudible.
Puis il reprit à voix haute.
- Ce sera fait, Votre Majesté.
- Bien ce sera tout mon cher Rosenberg. Salieri, restez un moment je vous prie.
L'intendant s'inclina avant de partir, et le musicien posa son regard sur l'empereur, qui s'approchait de lui.
- Dites-moi, l'avez-vous déjà vu, Mozart ?
- Non, votre Altesse. J'ai simplement entendu parler de lui, sa réputation ne fait qu'augmenter au fil des jours. J'ai consulté certaines de ses partitions cependant, des commandes passées par des membres de la cour.
Joseph II se pencha, comme pour faire une confidence.
- J'ai entendu dire, mon cher Salieri, que c'était un jeune homme plein d'entrain. Et dont la réputation n'est pas que musicale.
- Où voulez-vous en venir ?
- Il serait très libertin, ce jeune prodige. Et il semblerait qu'il se plaise à séduire ceux qu'il rencontre. Sans se soucier de leurs genres.
Salieri fronça les sourcils.
- Pourquoi m'informer de ceci ?
Le dirigeant sourit.
- Vous pourriez l'observer en le rencontrant. Je veux dire, il pourrait peut-être vous inspirer. J'apprécie vraiment nos moments ensemble Salieri, vous êtes la personne la plus agréable que je connaisse, mais je me rends compte que ça ne peut durer encore longtemps. Je ne suis pas ce qu'il vous faut, je ne fais que combler vos pulsions, être un ami, mais vous avez besoin de plus, Antonio. J'aimerais que vous trouviez quelqu'un qui vous plaise pour partager votre vie. Vous avez l'air si triste, toujours seul, et je crains qu'un jour, votre travail n'en pâtisse même si vous y accordez toute votre existence. Votre esprit doit sincèrement être apaisé, et à la réflexion, si je vous ai déjà vu soupirer de plaisir et même plus, vous n'avez jamais fait le premier pas vers moi. Vous avez simplement accepté mes avances, sûrement parce que vous en aviez besoin sur l'instant, mais sans plus. Vous devez apprendre à vous ouvrir aux autres pour trouver le bonheur. Peu importe que vous aimiez les hommes, trouvez celui qui vous rendra heureux. Prenez exemple sur ce jeune impertinent qui fait parler de lui. Et, si un jour vous trouvez un homme pour vous combler, je serai ravi pour vous, malgré ma déception de devoir cesser de vous...
- J'ai compris ! Merci pour cette opinion votre Majesté, j'y réfléchirais.
Embarrassé, Antonio s'inclina alors devant lui avant de prendre congé. Pourquoi, soudainement, après des années, l'empereur s'inquiétait-il de ça ? Il reconnut toutefois que le choix de l'empereur de mettre en priorité son bonheur à lui plutôt que le plaisir qu'il avait avec lui était touchant, d'une certaine manière. Le musicien ne savait plus vraiment comment appréhender les choses.



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