Chapitre 10 : Le bal d'honneur

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Mozart était rayonnant, dans un costume doré qui lui attirait beaucoup d'attention. Il avait hâte de commencer à jouer, mais pour l'heure, les invités du bal étaient encore en train d'arriver dans le grand salon du palais. La veille, Salieri et lui s'étaient entraînés à jouer ensemble leur composition, et Mozart avait adoré ça. Il était impatient à l'idée de montrer leurs talents combinés à cette foule de nobles. Il balaya la salle des yeux, à la recherche de son maestro, qu'il ne voyait pourtant nulle part. Les portes de l'immense pièce s'ouvrirent, et l'italien arriva enfin, vêtu d'un costume noir très élégant qui retraçait fidèlement sa silhouette, et de son habituel long manteau noir. De nombreuses personnes vinrent le saluer avec respect, ce à quoi il répondit avec formalité. Il était époustouflant, dans un équilibre parfait entre les bonnes manières qu'il maîtrisait parfaitement, et la prestance distanciée avec laquelle il se comportait. Mozart aussi avait été sollicité depuis son arrivée, mais lui n'était pas le moins du monde conventionnel, il se fichait bien de heurter les mœurs de la noblesse, c'est pourquoi il était particulièrement impressionné de voir son aîné, un homme pourtant friand de réserve et de solitude, s'adapter avec une telle aisance aux conversations d'un entourage très conséquent. Salieri l'aperçut alors, et il s'excusa auprès de ses interlocuteurs avant de venir lui faire face.
- Bonsoir Mozart, vous êtes prêt ?
- Comment pourrais-je ne pas l'être, alors que je vais avoir le privilège de jouer à vos côtés, maestro ?
Antonio ne put retenir un bref sourire.
- Cessez donc vos flatteries mielleuses, je ne suis pas un de ces nobles qu'il vous faut impressionner.
- Pourtant, dans cette salle vous êtes bien le seul qu'il m'importe d'impressionner.
Wolfgang avait répondu avec un large sourire innocent, mais Salieri détourna aussitôt les yeux. Un valet s'approcha alors pour lui murmurer quelque chose, et l'italien se tourna de nouveau vers son cadet.
- Allons y, Mozart.
Les deux musiciens rejoignirent le piano dans un coin de la pièce, et ils s'assirent côte-à-côte sur le banc. Ils commencèrent à jouer doucement, et le silence se fit rapidement dans la salle. La foule s'approcha de l'instrument pour mieux profiter du spectacle. Quelques murmures traversèrent la foule, excités, intrigués, curieux.
«Salieri et Mozart ? Ils jouent ensemble ?»
«Ils n'étaient pas rivaux ?»
«J'ai entendu dire que Mozart convoitait les titres de Salieri, compositeur officiel, maître de la chapelle ?»
«Il paraît que c'est l'empereur qui les a forcés à travailler ensemble ?»
«Mais il se détestent je crois, Salieri semble en tout cas très bien faire semblant de le tolérer. Ce n'est guère surprenant, il est d'un grand professionnalisme.»
«Ils ont composé ce morceau ensemble ? C'est divin, on voit bien qu'ils sont deux génies...»
Les deux concernés n'entendaient rien de ces mots, ils étaient plongés dans leur démonstration, ils étaient seuls dans cette salle immense, ils se parlaient entre eux, avec les notes, avec leurs gestes. Le commun des mortels ne pouvait pas saisir l'étendue de leur échange, mais il existait. Chaque doigt se déplaçant sur le clavier, produisant un nouveau son, était une réponse à celui que l'autre avait créé. Ils se complétaient, ils se répondaient mutuellement. La musique s'arrêta lentement, et les applaudissements fusèrent dans la salle. Ça avait été tout simplement divin. Près de l'empereur, Archibald aussi frappait dans ses mains, bien que ce soit plus lent, comme s'il était méprisant.
- Merci pour cet accueil plus que charmant, susurra-t-il avec un sourire hautain.
Mozart et Salieri inclinèrent la tête, puis ils se levèrent et se dirigèrent vers le même coin de la pièce pour prendre un verre. Mais Archibald n'en avait vraisemblablement pas terminé avec eux, une fois son toast porté à haute voix face aux convives, il traversa la salle afin de retrouver les deux musiciens. Ignorant Salieri, le noble sourit à l'autrichien.
- Vous devez être le fameux Mozart, le génie de la musique qui s'est installé à Vienne ?
- Ma réputation semble me précéder, sourit poliment le blond en s'inclinant.
- Je suppose, reprit le comte, que nous devons à votre talent cette composition merveilleuse... Qu'attend donc l'empereur pour vous nommer compositeur officiel de la cour, je me le demande !
Son intonation mielleuse et ses compliments ne dissimulèrent pas la pique destinée à Salieri, qu'il voulait provoquer. Après tout, c'était lui qui occupait ce poste. Toutefois, l'italien était habitué à la cour, à ses rudiments, à ses codes, et aux comportements de la noblesse, il n'afficha pas la moindre émotion, et Wolfgang, qui l'avait regardé avec inquiétude en entendant la question, reposa ses yeux sur son interlocuteur pour répondre avec toute la politesse qu'il put trouver en lui.
- Vous me flattez monsieur, et c'est un honneur, mais la cour de Vienne possède déjà un très talentueux compositeur, et de plus, je ne pourrais jamais m'épanouir dans un tel cadre de travail, je suis fait pour contourner les codes et jouer avec. Je serais bien incapable de me tenir à de telles responsabilités, à la différence de mon aîné qui a non seulement une grande expérience et des connaissances immenses, mais aussi un professionnalisme qui frôle l'impossible. Et sachez que la composition que vous avez entendue ce soir est une combinaison de son talent et du mien, pas simplement une de mes créations. Mais je suis ravi que notre collaboration vous ait plu, car ce n'est sûrement pas la dernière.
Archibald afficha alors un sourire crispé, ce n'était pas la réaction qu'il avait espérée. Il jeta un regard à Salieri, qui n'affichait toujours rien, et ça ne fit qu'attiser la haine qu'il ressentait. Il voulait le voir craquer, le voir le supplier de ne pas détruire sa vie. Il venait d'affirmer à son rival qu'il devrait prendre sa place, et lui ne réagissait pas ? C'était irritant.
- Et bien, je constate que vous êtes également très modeste, dit-il enfin en ne s'adressant toujours qu'à Mozart. Vous êtes un homme plein de qualités, quel dommage que vous n'ayez pas plus d'ambitions, vous avez un potentiel exceptionnel.
Mozart s'inclina légèrement, de façon mesurée, au lieu de sa gestuelle excentrique habituelle.
- Je vous remercie, monsieur.
Archibald tourna les talons, maudissant silencieusement l'italien qu'il méprisait et qu'il avait soigneusement évité de regarder quand il était parti. Salieri n'en fut pas intéressé, et il se tourna simplement vers son cadet.
- Je vous ai trouvé différent avec lui, depuis quand saluez-vous les nobles avec autant de mesure ?
Mozart lui sourit doucement.
- Vous avez le sens du détail et de grandes capacités d'observation, maestro. Je ne savais pas que vous me regardiez à ce point.
Salieri détourna les yeux, embarrassé.
- Ce n'est pas ce que je...
- Oh voyons, je vous taquinais, rigola doucement l'autrichien. Pour répondre à votre question, j'ai senti que cet homme aurait mal pris ma façon d'être. Il semble susceptible, et sa façon de vous provoquer subtilement alors que vous êtes irréprochable auprès de la noblesse me pousse à me méfier de lui.
- Vous faites preuve de beaucoup d'esprit quand vous le désirez.
- Pourquoi est-ce que ça a l'air de vous surprendre ?
Le blond souriait, amusé, et Salieri ne put s'empêcher de le trouver adorable. Il sourit lui aussi, très légèrement, ce qui charma davantage Mozart.
- Je n'ai pas l'habitude de vous voir agir ainsi, pardonnez ma surprise, vous semblez toujours spontané, sur l'instant. Comme si vous disiez vos pensées à l'instant même où elles apparaissent dans votre esprit.
- Ce n'est pas faux non plus, s'amusa le blond. Vous êtes vraiment très observateur.
Antonio détourna une nouvelle fois les yeux, et cela amusa le blond, qui leva son verre pour le faire tinter contre celui de Salieri.
- Alors, à la votre, maestro, merci encore.
Et il s'éloigna, pour ne pas l'embarrasser encore plus en public.


Mozalieri - Le charme du compositeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant