Chapitre 12 - Jenny

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Mon réveil sonne avec brutalité. 

Je tape de la main pour le faire taire, le projetant à travers ma chambre. En grognant, je me lève de mon lit, me saisit de mon téléphone et de mes Air-Pod, et enfonce les écouteurs dans mes oreilles. « I feel like I'm drowning » de Two Feet retentit dans l'air déjà chaud du matin. 

Je me traîne jusqu'à la table du petit dèj, engloutit mon repas tout en fredonnant, et file me préparer. Aujourd'hui, c'est le grand retour au lycée, après des vacances forcées d'une semaine. Et en une semaine, rien n'a avancé. Ni l'enquête de la police, qui a interrogé à peu près tous les profs et toute l'administration ainsi qu'une majorité d'élèves, ni notre propre inquisition, Val n'arrivant pas à trouver quoi que ce soit d'important dans le journal de la victime. 

En somme, nous perdons notre temps chez nous. 

Je file à toute allure pour attraper mon bus, dans lequel je retrouve une Val à l'air préoccupé. Entre ses mains, posé grand ouvert sur ses genoux, le journal de Keysha Libel semble la narguer. Nous l'avons examinées en détail, sans rien y trouver. 

Val se pousse pour me faire de la place et me glisse: 

 — Je crois que j'ai trouvé un truc ( mon cœur fait un bond dans ma poitrine ), mais j'ai un problème. 

Elle me montre ses doigts, la mine contrite. Ses ongles sont rongés jusqu'à la racine, malgré toutes mes tentatives pour l'en empêcher. 

Je comprends immédiatement. Elle fait le même geste lorsqu'elle demande à notre ami Julius de lui ouvrir sa clémentine, à la cantine. Elle a trouvé une cachette secrète à l'intérieur du journal, sauf que cette cachette est trop bien cachée. La connaissant, elle a dû la rencontrer par pur hasard, probablement en s'enfonçant une écharde dans le doigt à force de manipuler notre preuve. 

Et effectivement, elle me passe le carnet et me montre un léger renfoncement, dissimulé sous un post-it. Je plonge les mains dedans... et en ressort les doigts couverts d'échardes. 

— Ah, je fais simplement en regardant mes pauvres mains. Je vois le problème, ma chère Val.

Un petit sourire apparaît sur les lèvres de Val. Je souris de concert, et puis, alors que le bus entamé le dernier virage vers le lycée, nous éclatons de rire et terminons le trajet au bord des larmes. 

Voilà un excellent moyen de commencer la journée. 

Et la suite semble me donner raison. La routine reprend tranquillement, nous retrouvons nos amis ; Julius ne manque pas de se moquer de mes mains pleines d'échardes - qui commencent à piquer, d'ailleurs - Éli veut à tout prix reparler de l'affaire - en tant que future politicienne, ça se comprend - Math se moque  gentiment de Val et Julius, Perle lit une fanfiction Wattpad à côté de Lily, bref tout roule sur des roulettes. 

Tout roule tellement sur des roulettes que les premiers cours passent bien plus vite que d'habitude. J'ai à peine le temps de m'ennuyer que c'est déjà l'après-midi, et nous avons seulement la récréation puis anglais et on se barre chez nous, le prof d'histoire ayant déserté quelques mois auparavant. Si on oublie notre petite enquête, cela ressemble presque à une journée normale. 

— Alors, les filles, vous avez perdu la petite rouquine? 

Je me retourne brusquement. Évidemment. Ce ne serait pas une journée normale sans le prof d'anglais qui vient ajouter son grain de sel dans nos histoires. 

À peine plus grand que moi, il semble peu confiant en lui au premier abord, mais c'est un leurre, ce type a un ego plus grand que la France entière. Ses yeux bleus-verts et sa chevelure chocolat bouclée font une partie de son succès auprès des élèves - enfin surtout des élèves filles, on ne va pas se mentir - mais ça ne prend pas sur moi, ni sur Val ou Éli, heureusement. J'ai entendu pas mal de bruits de couloirs à son sujet, pas comme ceux qui circulent sur Perez, des bruits plus du genre « ooooh tu as ce prof d'anglais lààà? Veinaaaaarde ». Ces filles ne semblent pas se rendre compte qu'il a facilement le double de leur âge, même si il fait à peine une vingtaine d'années. 

Éducation mortelleWhere stories live. Discover now