Chapitre 8

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Harkaï

Dans la nuit noire de l'âme,

Il est toujours trois heures du matin.

Francis Scott Fitzgerald


Octobre

Le froid, les ténèbres, des enfants qui pleurent, j'entends la voix de ma grand-mère au loin, je ne sais pas où je suis, je cours sans savoir où aller le long d'un couloir interminable, je grimpe des escaliers, haletante. Ma sœur, où est ma sœur ?

— Lili, Lili me crie-t-elle.

Je hurle.

*

— Lili, réveille-toi !

Ma sœur était assise sur mon lit et me caressait le front.

— Ma Lili, ça va ?

— Oui Mel désolé de t'avoir réveillé. Quelle heure est-il ?

—5h10, tu veux un verre d'eau ?

Je me relevai endolorie et rejetai mon épaisse chevelure en arrière.

— Merci mon moustique c'est gentil mais va te recoucher, je vais me lever de toute façon, je n'ai pas envie de retomber dans mon cauchemar et il faut que je prenne un médicament pour mon mal de crâne.

Mel m'embrassa et retourna au lit.

En silence, je pris quelques affaires dans mon placard et sortis de la chambre sur la pointe des pieds.

Dans le couloir Amalia faisait sa ronde, à croire que cette femme ne dormait jamais.

— Bonjour Amalia, déjà debout ?

— Je ne dors que trois heures par nuit, répondit-elle aimable comme une porte de prison.

— Tout s'explique, bredouillai-je.

— Pardon ?

— C'est fantastique, moi j'ai besoin de beaucoup de sommeil.

— Que fais-tu là dans ce cas ?

Elle fronça les sourcils et ses yeux blancs inquisiteurs me firent frissonner.

— Cauchemar, mais je ne vais pas vous embêter avec mes problèmes, bonne journée Amalia.

Je ne lui laissai pas le loisir de me répondre et m'engouffrai dans la salle de bain. À cette heure-ci, elle était inoccupée. Je posai mes affaires de toilette sur le rebord d'un lavabo, en sortis du paracétamol et avalai une gélule en examinant le visage fatigué qui me faisait face dans le miroir.

— Misère, je fais peur, soufflai-je.

Après dix minutes sous une douche brûlante, j'étais détendue et mon mal de tête avait disparu. J'eus soudain l'idée d'aller chercher des croissants à ma sœur pour me faire pardonner de l'avoir réveillée. Je sautai dans mes fringues, remontai mes cheveux en chignon et me hâtai de sortir de la Confrérie.

*

La rue Mouffetard était déserte à cette heure matinale et les étals des poissonniers, fromagers et maraîchers n'avaient pas encore envahi la chaussée. Je remontais la « Mouff » comme on l'appelait ici, jusqu'à la petite boulangerie l'Essentiel, quand je sentis une présence derrière moi. Je me retournai et vis un homme s'engouffrer rapidement dans un bâtiment. Étrange. Arrivée à la boulangerie je fis le plein de viennoiserie pour ma sœur et Élodie. Avec ça, j'étais sûre de leur faire plaisir. Même si Élodie ne fréquentait pas les humains elle ne pouvait être insensible à un croissant encore chaud. Contente de moi je repartis à grand pas à la Confrérie, mais au croisement d'une rue je tombai nez à nez avec l'homme qui était derrière moi une demi-heure plus tôt.

Il semblait nerveux et peu amène. Il avait un look de junkie, des cheveux hirsutes et sous ses yeux écarquillés de larges cernes violacés creusaient son visage malingre. C'était bien ma chance, j'avais fait cinq cents mètres en dehors de la Confrérie et j'étais tombée sur un psychopathe.

— Harkaï se mit-il à vociférer, harkaï !

Les mains en avant il recula sans me quitter des yeux et disparut dans une ruelle.

Charmant, encore un qui avait un problème avec les femmes. Décidément je ne comprendrai jamais ce besoin qu'ont certains hommes à vouloir intimider les femmes dans la rue.

*

Lorsque je regagnai ma chambre Élodie était au téléphone avec sa mère et Mel était en train de s'habiller.

— Surprise, chantonnai-je, qui veut des croissants tout chaud ?

— Moi, moi, pailla ma sœur, je me damnerai pour un croissant.

Elle s'empara du sac et plongea la tête dedans pour en respirer les effluves.

— Elo, tu ne vas pas refuser de goûter à ça ?

Elle mit fin à son appel téléphonique et sauta dans son jean.

— Non mais pour qui vous me prenez ? Je me méfie des humains mais je suis déjà rentrée dans une boulangerie. T'es allée à laquelle ?

— Celle qui est tout en haut de la rue et avec ma chance je suis tombée sur un taré qui m'a suivi tout le long.

— Et tu lui as pas cassé la gueule ? s'insurgea Élodie.

Ma sœur qui avait enfourné un croissant dans sa bouche avala de travers et toussa bruyamment.

— Élodie si on devait casser la gueule à tous les types louches dans la rue on se battrait tout le temps, dit-elle entre deux quintes.

— Moi en tout cas je lui aurai fait passer l'envie de suivre qui que ce soit à l'avenir, rhaaaaa ces humains, parfois je me demande vraiment pourquoi on fait autant d'effort pour leur sauver les miches.

Élodie n'avait pas tort ; veiller dans l'ombre à réparer les erreurs ou les mauvais choix des humains tout en neutralisant les Nergals ne sera jamais chose facile. Voulais-je vraiment de cette vie de sacrifices ? Étais-je suffisamment altruiste ? Sans une abnégation héroïque était-ce seulement possible ? Et si finalement au bout de mes deux années de formation, je ne souhaitais pas intégrer le programme, allait-on me retirer mon don ? Beaucoup trop de questions et encore si peu de réponses. 

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