TWIN

Chapitre 23

Tréigean

À tout être humain ont été concédées deux qualités :

le pouvoir et le don. Le pouvoir conduit l'homme

à la rencontre de son destin ; le don l'oblige à partager

avec les autres ce qu'il y a de meilleur en lui.

Paulo Coelho

Vingt heures.

Tim pénétra péniblement dans la chaumière, toujours très concentré.

— Il faut partir pour la cérémonie. Vous êtes prêtes ?

Nous répondîmes par l'affirmative et le suivîmes à travers les bois, Dréséis dans notre sillage. Une fois dehors, je me rendis vite compte que ma perception avait changé, tout semblait plus réel, plus profond, les odeurs, la douce lumière de la lune, le clapotis de l'eau du lac, même le chant des grillons paraissait différent. Nous arrivâmes rapidement au village de Calima qui comptait tout au plus une vingtaine de maisons identiques à celle de Dréséis. Les modestes habitations étaient nichées au creux des arbres et certaines donnaient directement sur le lac. Sur la petite place, toute la Confrérie était réunie et je retrouvai avec bonheur Élodie. Nous échangeâmes brièvement nos impressions avant qu'Angélique prenne la parole.

— Mesdemoiselles, c'est avec beaucoup d'émotion que je vais vous conduire vers votre destinée, je remercie chaleureusement le peuple des Dryades pour son formidable accueil et je vous invite maintenant à cheminer en silence jusqu'au Dolmen de Thémis.

Un cortège se forma naturellement et les Colosses prirent place de part et d'autre. Tim se mit en position et nous attendit, le visage fermé, toujours sur le qui-vive. Dréséis, vraisemblablement très émue, s'avança vers nous.

— Je vous souhaite un bon « Tréigean », je suis ravie d'avoir fait ma première préparation avec vous.

Elle avait des trémolos dans la voix, ce qui me fit immédiatement monter les larmes aux yeux. Cette petite nymphe était la gentillesse incarnée. Ma sœur se plia en deux pour la serrer dans ses bras et je l'imitai.

— Allez, maintenant, et profitez de chaque instant, nous dit-elle de sa jolie voix flûtée en nous tapotant doucement la main.

Nous prîmes place dans le cortège et, avant qu'elle ne soit plus en mesure de nous voir, je lui adressai un petit signe de la main.

*

Après une longue marche à travers les bois de Calima, nous arrivâmes dans une vaste clairière que la lune, à présent au zénith, inondait de lumière. Au centre de celle-ci, se trouvait un imposant édifice circulaire de pierres colossales. Tout était calme, seul le chant des grenouilles et des grillons rompait le silence.

Angélique s'arrêta à côté d'une des pierres et nous demanda de bien vouloir nous asseoir à l'intérieur du cercle, aux pieds de ces dernières. Les Colosses, eux se déployèrent autour de l'enceinte. Au cœur de l'édifice, le sol formait un cratère jonché de fleurs des champs où trônait une espèce de totem sculpté dans du granit. Angélique descendit dans la cavité, sortit de sa poche un petit couteau, s'entailla le bout du doigt et fit couler quelques gouttes de son sang sur le totem. Aussitôt, la terre se mit à trembler, les oiseaux s'affolèrent, une eau couleur pétrole sortie du sol et inonda en peu de temps le cratère, formant ainsi un petit lac. L'eau se mit à bouillonner puis à changer de teinte, passant du bleu nuit au bleu turquoise. Une lueur blanche, nébuleuse, pointa au fond du lac. Elle se dilata rapidement et l'instant d'après, le bruit sourd d'une déflagration, suivi d'une onde de choc, nous fit vaciller. Honnêtement, si je ne n'avais pas su pourquoi j'étais là et que je ne risquais rien, j'aurais certainement pris mes jambes à mon cou. Ensuite, tout ne fut que silence : plus de grenouilles, plus de grillons, même le bruissement du vent dans les arbres avait cessé. Je levai les yeux vers le ciel et vis trois chauves-souris qui semblaient immobilisées en plein vol. Je me retournai vers Mélissa, totalement décontenancée.