Jour 69 :

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Bonjour à tous ! Comme vous avez pu le voir, les chapitres sont beaucoup plus courts (pas tous cependant) mais j'espère que l'histoire vous plaît malgré tout. Prenez soin de vous et à vendredi prochain ;)

Tendrement, 

Lou De Peyrac.

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- Moi je veux bien te laisser du temps, mais il faudrait au moins que tu me donnes un petit quelque chose à me mettre sous la dent.

La voix qui résonne dans mon appartement est presque suppliante, mon éditeur épuise visiblement ses dernières cartes. Je suis amorphe dans le canapé depuis ce matin. J'ai finalement décroché à partir du cinquième appel manqué. On frôle le harcèlement mais je comprends qu'il veuille que je lui rende des comptes. Hel me laisse l'espace nécessaire et lave le peu de vaisselle sale dans la cuisine.

- J'y travaille, je réponds sans grande conviction, espérant seulement qu'il me foute la paix, encore un peu, par pitié.

- Ça fait deux mois que tu me dis ça...il soupire.

Fort heureusement, mon éditeur est davantage un ami que le type qui fait paraître mes bouquins. Nous travaillons ensemble depuis quelques années déjà. Il connaît mon caractère fuyant, ma peur panique des autres, mon angoisse maladive. Le plus souvent, il s'adapte à ce que je suis. Je comprends que ce concept lui est plus difficile depuis que Hel est dans ma vie. Durant ces deux derniers mois, je ne lui donne presque aucun signe de vie, à peine de vagues réponses aux mails intempestifs qu'il m'envoie. Malgré la bienveillance qu'il me porte, il est bien mon éditeur avant d'être mon ami. Après un silence, sa voix reprend :

- Écoute, j'ai bien compris que ce n'était pas la grande forme en ce moment. Tu veux qu'on en parle ?

Je soupire et m'autorise un silence. Que pourrais-je lui dire sans que l'envie de m'enfermer en asile ne le prenne ? Le bruit de l'eau qui coule s'arrête dans la cuisine. Je vois Hel revenir dans le salon en s'essuyant les mains d'un chiffon. Elle s'appuie contre le chambranle de la porte et m'observe sans rien dire. Parce que je n'ai plus grand chose à perdre, j'opte pour l'honnêteté :

- J'ai une dépression qui me suit partout depuis quelque temps.

Mon éditeur reste silencieux une courte minute. Je le soupçonne de confier à l'un de ses stagiaires la mission d'appeler une ambulance. Enfin il s'exprime :

- Pas trop dure la cohabitation ?

Je suis surprise et refuse de m'attarder sur l'étrangeté de la question. Je me racle la gorge, articule difficilement :

- Tu en as une, toi aussi ?

- Quand j'étais petit. C'était un chanteur de musique punk, il fumait des joints toute la journée.

Je fronce les sourcils. Est-il réellement en train de me dire ça ? Je questionne Hel du regard. Elle roule des yeux et précise :

- Certains d'entre nous sont forcés de trouver des stratagèmes pour gérer le bordel qu'il y a dans vos têtes.

Mon éditeur ne réagit pas, je comprends que je suis la seule à pouvoir l'entendre.

- L'alcool n'a aucun effet sur toi, je lui chuchote en cachant le micro de mon téléphone.

- Ça ne coûte rien d'essayer, me répond-t-elle en haussant les épaules avant de retourner dans la cuisine.

Je la regarde partir en haussant un sourcil, agacée par son air détaché et presque hautain. La voix de mon éditeur me rappelle à l'ordre :

- Bon, je vais t'envoyer les coordonnées de ma psy, ça t'aidera peut-être. Tu devrais essayer d'aller voir un médecin. Et bordel, essaye de m'écrire un truc d'ici la fin du mois, n'importe quoi, je m'en contenterai.

- Qu'est-ce qu'il est devenu ton punk ?

- On s'est côtoyé pendant deux ans. Il est même devenu mon meilleur ami. Puis il a disparu quand mes parents ont divorcé.

- Quoi ? Comme ça ?

- Comme ça, du jour au lendemain, confirme-t-il. Je crois que je ne lui suffisais plus. A bientôt, ma grande.

Il raccroche. Il a toujours détesté les banalités. Les "comment vas-tu ?", les "quoi de neuf ?". Il les considère comme des paroles creuses seulement bonnes pour les réponses toutes faites. Le silence qui suit est assourdissant. Je jette mon téléphone sur le canapé comme si je lui faisais la gueule et reste une seconde statique pour fuir un monde qui a essayé de me rattraper. La voix de Hel provenant de la cuisine me fait sursauter :

- Qu'est-ce qui se passe, joli cœur ? Je sens ta tristesse d'ici.

- Rien, ça va.

Le déni, le mensonge, tout est bon pour ne pas parler des sujets qui fâchent. Je passe ma vie à boycotter la communication. Dedans, les émotions s'entrechoquent et ne sortent jamais. Comme une boule de flipper qui cogne de tous les côtés, ce sont des éclairs qui zèbrent mon squelette. Lave en fusion sous un amas de terre séchée, volcan encore endormi.

Le serpent avait l'air gentil.حيث تعيش القصص. اكتشف الآن