Chapitre 4.4: Elyséa tianby

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Le dernier adversaire s'affaissa lourdement sur le sol, devant Elyséa, impassible, les mains dans le dos.

— Enfin seuls.

— Vous êtes toujours aussi effrayante, admit Irénos. J'imagine que vous n'êtes pas ici pour une visite de courtoisie.

Plic. Ploc. Les gouttes, toujours.

— Vous imaginez bien. Et je vois que vous avez déjà pris votre décision. Vous pouvez encore revenir dessus. Pensez au prix à payer si vous partez.

— Le prix à payer ? Vous osez me parler de prix à payer, alors que régulièrement, j'entends des fameux « exploits » de vos protégés, qui déciment les miens ? Pour de l'or, ou pour l'amour de l'une des leurs !

— Tous les humains ne sont pas en tort et tous les dragons ne sont pas dans le vrai.

— Nous avons aidé les humains, et ils nous ont aidés en retour. Il y a longtemps que je ne daigne y croire, mais je suis en proie à l'horreur. Il n'y a plus de dragons des mers. Les cracheurs d'eau et de givres ont été décimés, et ces protanades que vous chérissez nous font la guerre, parfois accompagnés de phénix. Je sais de source sûre que la reine est pleinement consciente et engagée. Et je ne prendrai pas le risque de laisser à mes enfants ou petits-enfants un monde qui leur voudrait du mal, surtout à ce point. Dites-moi, Oracle, avez-vous vu le prix de l'écaille sur les marchés ? Nous sommes devenus une ressource première. Alors au nom de quoi briserais-je mon élan ?

Plic. Ploc. Toujours ces gouttes. Par-delà les siècles, elles me guettent.

L'oracle jeta un œil à Clemael qui réfléchit, et qui ressentait la douleur sincère de son père.

— Dans l'un des avenirs auquel j'ai songé, nos querelles ont tant et si bien nourri le chaos que plusieurs catastrophes sont survenues. Je ne parviens pas à la percevoir précisément, mais je sais seulement que de nombreux regrets, et de multiples larmes ont été versés. Si vous partez en guerre, je sens qu'il arrivera un événement auquel aucun d'entre nous n'est préparé.

— Mais si je ne montre pas les crocs, alors mes sujets continueront de périr, et si je n'agis pas, les dragons cesseront leur union, et iront probablement se venger de leur propre initiative.

— Les monarques terrestres ne se laisseront faire. Vos attaques apporteront les raisons pour légitimer à leurs yeux votre extermination, ou votre domestication. Il doit y avoir une approche différente, j'en suis certaine.

— C'est le seul moyen, Oracle. J'y ai songé, pensez-vous, mais il est temps de rétablir l'ordre naturel des choses.

Clemael observait l'un et l'autre converser. Il surprit cependant son père à baisser le regard, teint d'un sentiment étrange... de la tristesse ?

— Si vous faites ainsi, ne comptez plus sur mon amitié.

— Oui... je le sais. J'aimais le temps où vous étiez mes amies, toutes les deux. J'avais espéré que vous me comprendriez, que vous éclaireriez ma lanterne, ou vous que viendriez avec une possibilité à laquelle je n'avais pas songé, et qui aurait dénoué les conflits, mais... il n'est plus temps de se croire en période de concorde. J'ai longuement fermé les yeux, et à ce titre, je fais un très mauvais monarque. Je vous demande de vous rallier à ma cause, je vous en prie.

Ploc. Plic. Ploc. Plic. Ploc. Ploc. Ploc. C'est... interminable... je vais... m'étouffer dans mes tourments... s'il te plaît... parle... parle. Parle ! Aide-moi !

— Non.

Le roi eut un hoquet de déception.

— N'empêchez pas mon dessein de se concrétiser.

— J'agirai si nécessaire.

— Alors, je vais... je pense... devoir...

— Devoir quoi ?

— Je... vais...

— Dites-le, si vous avez du cran.

Irénos secoua la tête ; il grogna, son poitrail et son long cou s'allumèrent ; sous couvert d'un lourd vrombissement, le monarque s'apprêtait à relâcher sa brûlante conviction, qui s'effondra tout aussi vite ; une griffe plongea vers la femme, mais s'arrêta abruptement. Des tremblements, des larmes, des gémissements, et le membre retomba net sur le côté du corps, inerte.

Elle était mon amie... Je n'y arrive pas... Je ne peux pas... lui faire de mal... mais...

Je m'en doutais. Vous avez pris votre décision. Moi, la mienne. Au revoir...

La convive mystérieuse repartit par la galerie sans issue.

Plic. Ploc. Ploc... Plic... Plo... Même les murs ne font pas barrage... Elyséa... votre amitié me manque... j'aurais aimé que ces bruits soient celles de mes larmes...

— Fils... puis-je te faire confiance ?

— Oui, père, affirma Clemael.

— Je te donne une mission. Quitte Karakoth, et suit Elyséa. Surveille-la pour moi, veux-tu ?

— P-père... c'est l'oracle !

Irénos rit subitement. Quelle situation absurde !

— Et... elle doit avoir déjà trois coups d'avance !

— Je sais, fils, mais j'ai confiance en toi. Va. Et n'oublie pas que je t'aime, non en tant que roi, mais en tant que père.

Irénos prit son fils entre ses pattes ; il passa ses griffes le long de la chair et des écailles de son enfant. Et il réalisa qu'il lui avait tellement manqué. Qu'importe la fierté virile. Il l'avait pleuré, et la voilà déjà qu'il le renvoyait. Il... hésitait à revenir sur sa parole, mais il n'en eut pas le temps.

— Je t'aime aussi, papa. Je vais m'acquitter de ma tâche. Adieu.

Rébellion SaphirWhere stories live. Discover now