• Chapitre 2 •

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La nuit commençait à tomber, il était plus de dix-neuf heures. Jisung était assis dans la salle de cours totalement vide. Il la squattait depuis plus de deux heures, à scroller sur son téléphone, affalé sur sa chaise. Il n'avait aucunement perçu l'heure qui avait passé, et il n'avait clairement pas envie de quitter son siège. Il était bien, là. À tel point que son téléphone avait absorbé toute son attention. Il n'entendait rien d'autre que le son des vidéos qui défilaient, même pas la légère pluie qui effleurait les vitres de la salle, ni même la porte de la salle qui venait de s'ouvrir.

— Han, je peux savoir ce que tu fais ici ? fit une voix autoritaire,

Jisung leva directement la tête vers la porte, les yeux en énormes bulles. Monsieur Bang était là, sa mallette à la main, dans son costume qu'il portait chaque jour. Il regardait Jisung, l'air dur, sévère. Il n'avait pas l'air enchanté de voir le jeune homme, et c'était plutôt réciproque, puisqu'il savait pertinemment que squatter le lycée comme si c'était chez lui allait forcément lui valoir une sanction.

Il se leva de sa chaise en ramassant son sac qui gisait au sol. Il devait partir. Et vite. Avant que Bang ne lui arrache la tête. Jisung s'arrêta quelques mètres devant lui, en voyant que Monsieur Bang ne bougeait pas son énorme stature de l'embrasure de la porte.

— Puis-je savoir ce que tu fais à encore squatter le lycée ? Ta mère est sûrement morte de trouille à l'heure qu'il est.

Jisung haussa les épaules ; sa mère n'en avait pas grand chose à faire de l'heure à laquelle il rentrait. Surtout qu'elle ne rentrait jamais aux mêmes heures non plus. C'était pour Dongwoo que c'était plus compliqué. Mais il n'était pas loin de la maison, il savait rentrer tout seul comme un grand.

— J'avais pas vu l'heure, claqua Jisung en essayant de passer à travers la porte,

Il fut à nouveau bloqué par Bang, qui ne bougeait absolument pas de là où il était. Il perçait Jisung de son regard, le plaçant inconsciemment dans un inconfort des plus profond. Il ne savait pas ce qu'il attendait de lui. Il lui avait expliqué pourquoi il était là, pas vrai ? Alors pourquoi lui prenait-il la tête de cette manière ?

— Qu'est-ce que vous voulez ? osa-t-il,

Il le trouvait lourd. Son regard inchangé lui donnait presque des hauts-le-cœur.

— Rien, je comptais simplement combien de fois je t'ai retrouvé dans cette foutue salle depuis le début du mois. Je viens d'en compter la neuvième. Si tu ne veux pas que monsieur le proviseur finisse par connaître mes mensonges, je te conseille de ne plus jamais y entrer. Compris ?

Jisung déglutit bruyamment. Le silence se fit soudainement vraiment pesant. Il sentait tellement de pression sur ses épaules. Les pupilles de Bang perçaient les siennes, il avait vraiment du mal à continuer de le regarder tellement ça le mettait mal à l'aise. Il n'avait jamais été aussi déstabilisé, dans un inconfort pareil, devant un professeur. Même Bang, qui avait une autorité qu'il n'arrivait rarement à défier. C'était la première fois que leur échange était si lourd. Si dérangeant. Plus pour l'un que pour l'autre, dans le fond.

Jisung finit par hocher la tête, ne sachant sortir aucun son de sa gorge. Il était bloqué, le mal être était vraiment présent. Du haut de son crâne jusqu'à la plante de ses pieds, il se sentait terriblement embarrassé.

— Je ne veux plus jamais t'y revoir, répéta Bang pour la dernière fois dans ce silence,

Jisung baissa la tête, la hochant légèrement. Il se sentait vraiment maitrisé, il ne comprenait pas comment il pouvait autant se soumettre à son autorité de cette manière. Il sentait que s'il rétorquait, il allait se faire tuer. Alors il essaya de sortir en s'approchant encore de son professeur d'anglais mais ce dernier le stoppa d'un doigt sur sa poitrine. Il ne le touchait même pas. Jisung s'était juste arrêté. Comme si, s'ils se touchaient, il allait se faire encore plus défoncer.

— Oh et, murmura Bang, si je te revois porter ce foutu bonnet dans l'établissement, je m'occuperai de ton cas personnellement. Est-ce que j'ai été assez clair ?

Nouveau hochement de tête de la part de Jisung. Il se sentait particulièrement mal, il voulait juste partir. D'une main timide, il retira son bonnet de ses cheveux.

Il aperçut Bang esquisser un sourire en coin, satisfait.

— Maintenant, dégage.

Il se décolla légèrement de la porte, en voyant Jisung presque paniquer. Le jeune homme s'inclina comme jamais il ne s'était incliné devant lui, et s'enfuit quasiment en courant. Il se sentait presque puissant. Jisung était réellement le pire élève de toute la fac. 1 500 élèves, et il pouvait penser ouvertement que Jisung était le pire de tous. Il n'avait aucune éducation, il ne savait pas se tenir en place, il parlait mal, avait de mauvaises notes, se comportait mal avec les enseignants tout comme avec les autres élèves, et pourtant le proviseur continuait de le garder. Il avait encore un espoir pour Jisung. Et il était bien le seul à encore en avoir.

×××

Jisung entra dans le bureau de tabac, son bonnet sur sa tête. Il repensait en boucle à ce qu'il s'était passé dans la salle de cours. Il s'était senti tellement mal, tellement embarrassé face à tout ça. Il n'avait vraiment plus envie de retourner dans cette salle. Monsieur Bang le mettait mal à l'aise à lui parler de cette manière. Il n'était jamais sensible à l'autorité que les gens essayaient d'imposer sur sa personne. La seule personne qui réussissait à le faire écouter était son père. Et il s'était senti perturbé d'avoir été comme ça devant son professeur. Il ne savait pas de quoi il avait eu peur. Il avait simplement eu peur. Peur de ce que Bang pouvait lui faire, à lui et à son avenir déjà bien trop bancal.

Il acheta son paquet de cigarettes, comme chaque mois, avant de sortir. La pluie recommençait à tomber. Mais il n'en avait pas grand chose à faire, à vrai dire. D'ailleurs, il faisait nuit noir. Il était vraiment tard, mais il venait de finir son paquet de clopes et il n'en avait pas en rab, alors il était simplement sorti pour en chercher. Surtout qu'il avait quelque peu envie de marcher. Il allait se balader dans les petites rues de Séoul, c'était son envie du soir. Il alluma une cigarette en essayant de la protéger des quelques gouttes qui s'échouaient çà et là, avant de se lancer dans sa marche. Il s'enfonça dans une étroite ruelle, éclairée – par chance – par la légère lumière de la Lune. Ses yeux étaient déjà adaptés à l'obscurité, donc il n'avait pas de risque de tomber. Il se balada au milieu des maisons déjà éteintes. Par certaines fenêtres, il pouvait entendre la télévision, les couples s'engueuler, les films que regardaient certains ; l'intimité de ceux qui ne connaissaient pas l'existence de cette rue.

Jisung finit par tomber dans les rues les plus retirées de Séoul, que peu de gens connaissaient, qui n'étaient que rarement empruntées. Il y avait des maisons, des immeubles, des appartements qui étaient allumés pour certains, endormis pour d'autres. En se baladant dans les rues silencieuses et calmes de la ville, il entendait l'autre côté de la métropole qui vivait encore, alors qu'il s'était reclus dans le calme, la paix.

Un crissement de pneu le sortit de son calme intérieur. Il tourna la tête pour regarder tout autour de lui, d'où venait cette espèce de bruit de frein qui s'était fait si violent. Il fit un demi-tour sur lui-même pour apercevoir un énorme 4x4, aux vitres teintées, qui s'était arrêté à l'entrée d'un hangar, une vingtaine de mètres devant Jisung. Il fronça les sourcils pour essayer d'apercevoir, sans s'approcher, ce qu'il se passait.

Un conducteur sortit à l'avant, suivi d'un passager, et de deux personnes qui sortait de la banquette arrière. Le passager avant se dirigea vers le coffre de la voiture, pour en sortir, quelques secondes plus tard, deux grosses mallettes. Il les tendit à un passager, avant de se faire confier les clés par le conducteur. Ce dernier, ainsi que les deux passagers arrière, partirent, de l'autre côté du hangar, que Jisung ne pouvait apercevoir. Le détenteur des clés fit le tour de la voiture, vérifiant que les portes soient bien fermées. Et puis, d'un coup...

Il se tourna vers Jisung. Ils échangèrent un regard, de loin. Un regard qui dura assez longtemps pour que Jisung en aie la nausée.

Des cheveux bruns, mal coiffés. Un bomber épais, cachant une musculature visiblement puissante. Des yeux sombres et perçants, même dans l'obscurité de la nuit. Des cuisses épaisses, une carrure impressionnante. Jisung cligna des yeux plusieurs fois.

C'était Bang.

Jisung laissa sa cigarette tomber d'entre ses doigts. Il prit son courage à deux mains, tourna le dos à cet homme, avant de courir le plus rapidement possible, et le plus loin possible.

𝙾𝚕𝚍𝚎𝚛 | 𝙲𝚑𝚊𝚗𝚜𝚞𝚗𝚐Where stories live. Discover now