Chapitre 2

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Anna aurait voulu passer aux toilettes pour vérifier l'état de son visage, voir si ses yeux étaient bouffis et rouges, s'ils donnaient l'impression qu'elle avait passé plus de trente minutes à pleurer dans le bureau de l'infirmière. Même si elle pouvait encore rebrousser chemin et faire un arrêt pour passer de l'eau froide sur ses yeux, elle n'osa pas le faire. Le mot d'excuse dans sa main indiquait l'heure à laquelle elle avait quitté l'infirmerie, comme pour signaler au destinataire qu'il devait se poser des questions si elle prenait trop de temps à revenir en classe.

Les couloirs du bâtiment sud étaient vides. Malgré les portes fermées, les voix de certains professeurs lui parvinrent aux oreilles. Elle reconnu celle du professeur d'anglais qu'elle avait eu l'année précédente, sa voix grave marquée par un accent marseillais reconnaissable parmi celles de tout le corps enseignant.

Elle passa devant la scolarité. Ses yeux scannèrent rapidement la pièce dont la porte n'était jamais fermée. Un élève était de dos, appuyé contre le haut bureau, en train de pointer du doigt quelque chose qu'elle ne pouvait pas apercevoir. Elle l'entendit néanmoins supplier le surveillant de faire valider son mot de retard alors que ce dernier lui répondait que « retard pour avoir perdu sa chaussure dans le couloir » n'était pas une excuse valable. Anna croisa le regard d'une des surveillantes, assise sur la gauche, et elle déglutit difficilement. Pendant un instant, elle eut la sensation que celle-ci pouvait lire sur son visage ce qui s'était déroulé dans l'infirmerie – comme si elle avait pu entendre tout ce qui s'était dit entre les quatre murs de la petite pièce.

Anna repositionna une mèche de cheveux derrière son oreille gauche.

La surveillante sortit finalement son portable de sa poche et ne lui prêta plus attention. La lycéenne baissa la tête avant d'accélérer le pas. La montre à son poignet indiquait qu'il restait moins de quinze minutes de cours. La culpabilité rongea son estomac et l'idée de décevoir le professeur par son absence se fraya un chemin dans un coin de son esprit. Elle eut envie de rire face à ce sentiment absurde. Si elle venait à en parler à Rachel, elle était certaine qu'elle lui répondrait de ne pas trop y penser, que de toute façon, les profs étaient payés pour être là et que certains même devaient être heureux d'avoir moins d'élèves à gérer. Même si Anna essayait de se rassurer avec une hypothétique réponse que lui aurait donné son amie, elle n'arrivait pas à se sortir de la tête que la moindre des choses était d'être présente en cours.

Elle s'arrêta devant la porte de la salle de classe. Sa main se posa sur la poignée et le métal froid lui donna quelques frissons. Une longue inspiration et une prière pour que ses yeux apparaissent dégonflés plus tard, elle toqua deux fois. Elle attendit une seconde avant d'ouvrir la porte.

Comme elle l'avait imaginé, tous les regards se braquèrent sur elle.

D'un pas traînant, elle s'approcha du bureau où son professeur était assis et lui tendit le mot d'excuse. Il retroussa la manche droite de sa chemise, comme si saisir un pauvre bout de papier était une tâche qui lui demandait de grands efforts. Anna vit ses yeux parcourir le papier avant qu'il ne relève la tête pour la regarder. Il lui fit signe de s'assoir et elle s'exécuta.

Son sac à dos était posé contre le pied de la chaise. Tout en s'asseyant, elle murmura un simple « merci » à Rachel qui se trouvait à sa gauche. Elle hocha la tête sans pour autant lâcher des yeux son portable qu'elle avait caché dans sa tousse. Ses doigts tapaient l'écran avec une certaine agilité alors que son regard ne lâchait pas le tableau derrière leur professeur. Son portable vibra dans la poche de son jean. Anna vit Rachel esquisser un petit sourire tout en dessinant des cercles sur le haut de la feuille à carreau qui se trouvait face à elle. Anna glissa son portable hors de sa poche pour le poser en équilibre sur sa cuisse. Elle le déverrouilla et tapa du bout du doigt sur la notification qui l'emmena directement dans ses messages privés Instagram.

Tu ne veux pas l'accepterWhere stories live. Discover now