Tu ne veux pas l'accepter

Chapitre 6

À son plus grand désarroi, ses parents ne lui avaient pas demandé de rester à la maison quand elle leur avait parlé de la soirée. Sa mère, au contraire, lui avait souri et demandé si elle ne voulait pas faire un rapide saut au centre commercial pour acheter des vêtements. Son père, qui lui avait donné l'impression de ne pas suivre la conversion, lui avait simplement rappelé de ne pas rentrer trop tard si elle souhaitait prendre l'un des premiers bus le lendemain pour se rendre chez son grand-père.

Anna vérifiait pour la dixième fois que son rouge à lèvres était correctement appliqué quand elle entendit son portable vibrer sur sa table de nuit. Elle grimaça une nouvelle fois devant le miroir accroché à côté de sa commode, dévoilant des dents parfaitement blanches et surtout, sans trace de maquillage, avant de récupérer son portable.

@notrachelgreen : devant chez toi

@annartsy : 🫡

Elle glissa son portable dans la poche arrière de son jean bleu et enfila son cardigan en laine blanc par-dessus un simple tee-shirt de la même couleur. Pendant une longue heure, le fer à lisser déjà à la main, elle avait pensé à onduler ses cheveux. Mais au lieu de se mettre au travail, elle était restée allongée sur son lit, incapable de trouver la force pour les rendre plus présentables. Quand elle avait compris qu'elle n'avait plus qu'une petite dizaine de minutes pour terminer de se préparer avant que Rachel ne vienne la chercher, elle s'était enfin extirpée de son lit.

La maison était silencieuse quand elle descendit au rez-de-chaussée. Si elle tendait l'oreille, elle pouvait entendre le robinet de la cuisine goutter, les branches taper doucement contre les fenêtres du salon à cause de la brise. C'étaient dans ces moments, quand les seuls sons existants dans la maison n'étaient ni les siens ni ceux de ses parents, que ce sentiment de solitude qu'elle avait évoqué à l'infirmerie se manifestait – qu'elle avait l'impression qu'elle était sur le point de se perdre dans ses pensées les plus noires.

Anna secoua la tête et se répéta plusieurs fois qu'elle ne pouvait pas se rendre à la soirée avec de telles idées. Elle enfila rapidement ses sneakers noires, attrapa ses clés et le billet de dix euros que sa mère avait laissé sur le meuble de l'entrée avant de sortir.

Rachel leva la tête de son portable et afficha un petit sourire quand elle la vit.

— Lucas et Noam sont déjà là-bas, l'informa-t-elle en glissant son portable dans la poche de son pantalon en velours blanc, sûrement celui qu'elle avait porté lors de la dernière soirée.

— C'est chez Lu ?

— Ouaip. Pour pas changer.

Lucie, ou Lu comme elle le préférait, était la personne chez qui toutes les soirées étaient organisées. Elle vivait dans une maison de deux étages où il était possible d'accueillir deux classes de trente lycéens. Le sous-sol aménagé leur permettait de se réunir quand il faisait bien trop froid pour rester dans le jardin. Ses parents voyageant régulièrement pour des raisons professionnelles, elle avait toute la liberté d'utiliser leur maison comme bon lui semblait. En leur absence, sa tante, une femme d'une quarantaine d'année, avait pris possession de l'annexe qui se trouvait de l'autre côté du jardin. Anna avait entendu dire qu'elle était là pour veiller sur Lu et combler l'absence de ses parents qu'elle ne voyait que quatre à cinq mois dans l'année. Tant que les soirées ne se déroulaient pas le mardi soir – jour où son feuilleton préféré était diffusé à la télé – Lu pouvait faire tout ce qu'elle souhaitait.

— Je peux pas rester longtemps, fit Anna après quelques minutes à marcher dans le silence. Je dois aller voir mon grand-père demain.

— O.K. On peut demander à Lucas ou Noam de te raccompagner si tu veux.