Chapitre 5 - Oncle Jil

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Déesse toute puissante, jura Karis in petto devant le spectacle. Ses doigts serrèrent plus fort la poigné de la porte. Quelle idiote. Elle aurait dû regarder si Limbe était aux côtés de sa sœur dans le réfectoire avant de partir à la recherche de Calizo.

Sortant de sa torpeur, elle se racla la gorge pour signaler sa présence. Elle croisa le regard surpris de Limbe, qui rougit jusqu'aux oreilles. Leurs ceintures, sur lesquelles étaient accrochés leurs izus, traînaient à côté de la paillasse, et le jeune homme avait retiré son haut.

Chray, tu aurais pu frapper avant d'entrer dis donc, s'écria Calizo dans un sursaut.

Karis força un rire. Vous auriez pu trouver un autre endroit surtout, espèce d'imbéciles ! rugit une voix en elle. Limbe dut comprendre que le rictus qu'elle affichait n'exprimait pas l'amusement, mais l'exaspération, car il repoussa doucement Calizo.

— Tu nous cherchais ? s'enquit-il en passant sa main nerveusement sur sa nuque.

— Pas toi, objecta sèchement l'Ashkani avant de se tourner vers son amie. Tu as raté le tirage au sort. C'est Léka qui a été choisie.

Karis se haït de se réjouir en voyant la déception sur le visage de la blonde. Mais sa réaction apparaissait bien maigre face au sentiment de trahison qui montait dans son Cœur. Bien sûr, elle savait déjà. Mais voir que ses amis le lui avaient sciemment caché, en revanche...

— Ce n'est pas grave, la rassura Limbe, tu pourras toujours retenter ta chance l'année prochaine.

Calizo acquiesça, repliant ses jambes contre elle.

— Bon, maintenant tu sais pour nous au moins, murmura-t-elle avec un sourire penaud.

Karis poussa un soupir de dédain. Elle eut juste le temps de voir l'air interloqué de ses deux amis avant de claquer la porte. Qu'ils aillent attendrir quelqu'un d'autre avec leur air mièvre.



Ses pas la portèrent instinctivement à la Bibliothèque. Même si son entraînement la préparait à devenir une Gardienne Combattante, Karis connaissait le lieu aussi bien qu'une Conteuse. Et pour cause, elle passait une bonne partie de ses nuits à dévorer toutes sortes de livres, lorsqu'elle ne s'entraînait pas contre le pauvre mannequin. Ou alors, elle se glissait entre les étroites étagères de bois quand elle voulait qu'on lui fiche la paix. La pièce était petite de plafond, et n'avait pas de fenêtres, si bien qu'il était aisé de se dissimuler dans l'ombre.

La Bibliothèque comptait sûrement parmi les endroits les plus vastes et surtout les plus protégés de la Citadelle. Ses portes de métal aux pics pointus en témoignaient. Si la présence d'objets aussi précieux que des livres dans une base frontalière pouvait étonner, ses murailles épaisses garantissaient la sécurité de tout ce savoir accumulé depuis des siècles.

Savoir ne rimait cependant pas avec organisation. Nombreux étaient les ouvrages qui menaçaient de tomber d'étagères pleines à craquer. Les rayons se succédaient dans une géométrie précaire quelque peu douteuse. Seuls les Conteurs comprenaient la logique de leur classement. L'Ashkani ne se formalisait plus depuis bien longtemps de trouver un livre de l'histoire militaire askanienne à côté de comédies à l'eau de rose.

Par ailleurs, elle ressentait le besoin urgent de lire quelque chose qui ne soit pas en lien, de près ou de loin, avec tout ce qui pouvait toucher à des sentiments dépassant l'amitié.

Le Livre de la nuit, mis en évidence sur une longue table d'étude, devrait sûrement faire l'affaire. Le livre sacré de la Déesse était rempli d'histoires morbides, de massacres et de légendes mystérieuses. Elle y trouverait son compte pour chasser l'image obsédante de Limbe regardant Calizo avec adoration. La jeune fille claqua des doigts pour créer une étincelle d'énergie dorée qui éclaira la couverture de cuir bleu.

La Rivière des larmesWhere stories live. Discover now