Chapitre 38 - Les vestiges oubliés de la guerre

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— Par Liha, qu'est-ce que vous fichez ici ? s'étrangla Milanne.

Thilste, armé d'une torche, haussa les épaules. Il décrocha celle que Milanne avait abandonné pour la lui tendre. Elle la reprit de mauvaise grâce.

— Je vous retourne la question. Quel est cet endroit ?

— C'est une manie chez vous de répondre aux questions par d'autres questions ? grommela-t-elle. Il s'agit d'un vestige oublié de la guerre. Un souterrain emprunté autrefois par des éclaireurs.

— Il a l'air encore utilisé, fit-t-il remarquer en désignant les traces de pas.

Milanne lui tourna le dos sans prendre la peine de lui répondre. Il n'avait pas besoin d'être au courant des activités d'espionnage des Larinu.

— Attendez, vous n'allez pas quand même vous enfoncez dans ce souterrain ? Il débouche en Askan !

— Oh, vraiment ? gloussa-t-elle.

Les pas de Thilste s'arrêtèrent un instant, mais elle continua d'avancer.

— Non mais je rêve, vous avez perdu l'Esprit ma parole ! C'est du suicide d'aller là-bas ! Et puis pour quoi faire d'abord ?

— Ça ne vous regarde pas.

— Un peu si que ça me regarde. Et pas que moi d'ailleurs : le Larinu entier.

Milanne roula des yeux. Le nombre de fois où ses professeurs lui avaient répété que chacun de ses choix seraient ceux de la région entière, du plus crucial au plus insignifiant. Si elle se levait une heure plus tard que d'habitude, elle donnait l'impression que les Laruniens étaient oisifs. Si sa robe n'était pas la plus belle possible, elle donnait l'impression qu'ils vivaient dans la misère. Si elle décidait de grimper à un arbre, les servants lui hurlaient de redescendre, de peur qu'elle ne se blesse.

— Si ça vous préoccupe tant que ça, vous n'avez qu'à me stopper.

— Comment ça ? bredouilla l'étudiant.

Avec un soupir, Milanne déposa à nouveau sa torche sur un support, rejoignit le jeune homme à grand pas puis plaça ses poignets sous son nez. Il redressa la tête, confus.

— Allez-y, le provoqua-t-elle d'une voix de miel. Prenez votre ceinture, une corde, je-ne-sais-quoi, enchaînez-moi et ramenez-moi de force à Runac. Ou à Rohir plutôt, vu qu'à Runac vous risquer de croiser votre oncle plutôt en colère. Mais je vous préviens, je risque de me débattre sur le chemin.

Les yeux écarquillés, Thilste ne bougea pas d'un iota. Milanne se retint de rire et tourna les talons.

— C'est bien ce que je pensais, claironna-t-elle. Vous devriez rebrousser chemin en revanche. La route est longue jusqu'à Solarina.

— Je ne vais pas vous laisser vous fourrer dans les ennuis sans rien faire, objecta-t-il.

— Bien que ce soit très touchant de vous inquiéter pour moi, je sais ce que je fais.

Silence. Milanne jeta un coup d'œil en arrière pour vérifier que Thilste reparte en sens inverse, mais il s'était approché d'elle.

— Et si les Askaniens vous attrapent ?

— Ce serait fâcheux mais pas mortel, vu que je vais entrer en Askan par la communauté larunienne prisonnière là-bas.

— Et pourquoi vous iriez là-bas ? J'avoue ne pas bien comprendre pourquoi vous vous jetteriez dans la gueule du loup.

— Parce que c'est le seul moyen de trouver un remède pour mon père.

Elle sursauta lorsque Thilste la saisit par l'épaule. Sa poigne n'était pas assez ferme pour l'empêcher de partir si elle le voulait, mais assez pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas encore baissé les armes. Ses cheveux et la pénombre l'empêchaient de discerner l'expression de ses yeux, mais l'appréhension déformait sa bouche.

— Vous n'avez pas peur de finir comme vos parents ? D'être accusée d'espionnage et exécutée par l'Orem de Numarie ?

Elle se dégagea d'un coup sec, les sourcils froncés. Sale petit fouineur, tu vas te mêler de tes affaires, oui ou non ? aurait-elle voulu lui jeter à la figure.

— Ça, c'était totalement déplacé, grogna-t-elle.

Thilste soupira.

— Ce que je voulais dire, c'est que ce n'est pas très sage.

— Ce n'est pas une question de sagesse, répliqua-t-elle. C'est une question de vie ou de mort pour mon père. La seule famille qu'il me reste. Peut-être que ce voyage est insensé, mais c'est mon seul espoir.

Milanne se détourna, reprenant sa marche. Le temps lui était compté, elle ne devait pas perdre une minute de plus à convaincre un sourd. Elle espérait juste que ses muscules endoloris par la marche la soutiennent suffisamment longtemps.

— Rien ne vous force à me suivre. J'ignore pourquoi vous l'avez fait d'ailleurs. Retournez à Solarina et tout ira bien.

— Permettez-moi d'en douter, ricana-t-il. Je serais la dernière personne à vous avoir vu, donc on m'accusera de tous les maux.

Milanne se mordit la lèvre. Il n'avait pas tort. Les conseillers de l'Orem seraient capables de le jeter en prison pour lui tirer les vers du nez.

— Et puis, ce n'est pas vraiment dans votre intérêt que je parte, reprit Thilste. Comment allez-vous vous assurer que je ne raconte pas à tout le monde que vous partez en exploration en Askan ?

Milanne le foudroya du regard. Elle ne voulait pas que Niel envoie des elfes risquer leur vie de l'autre côté de la frontière pour aller la chercher. Ni que ses actions entachent la réputation de sa famille. Qui sait si Dias n'aurait pas de lourds ennuis avec le Roi pour ne pas avoir su empêcher sa fille d'aller chez l'ennemi ? Enfin, si elle ne le sauvait pas, il n'aurait même pas le temps de subir les remontrances du souverain.

— Je vous l'ai dit, reprit-elle froidement. Si vous voulez que je rebrousse chemin, il faudra m'y forcer. Je ne risque pas de poser trop de soucis avec mon gabarit, c'est vrai. En revanche, vous aurez de vrais problèmes avec l'Orem.

— Très bien, ronchonna Thilste, je ne vous empêcherai pas d'être aussi têtue qu'une bourrique. Mais autant être têtus à deux.

Milanne s'arrêta net, lui jetant un regard interrogateur.

— Je pars avec vous.

Il eut un petit sourire en coin, l'air de dire : « chacun son tour ».

— C'était une tentative de blague ? grommela Milanne.

Elle ne put cependant dissimuler un rire. Pourquoi lui ferait-elle confiance ? Force était pourtant d'avouer que s'il l'avait voulu, il l'aurait entravée et remise au soldat le plus proche. Et puis, la famille Larq était fidèle aux Larinu depuis au moins la disparition des Déesses.

Sa main se raffermit sur la bandoulière de son sac. Une aide extérieure serait la bienvenue. Si jamais il lui arrivait malheur, elle pourrait compter sur une autre Âme pour apporter le remède à son père.

— Vous ne protestez pas ? s'étonna l'étudiant devant son silence.

— Ne me le faites pas regretter.

— C'est plutôt moi qui devrais dire ça.

Thilste s'avança à sa hauteur, pointant de sa torche les ombres du tunnel.

— Alors, c'est quoi le plan ?


 

La Rivière des larmesWhere stories live. Discover now