Chapitre 35

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Camille


Une fumée opaque recouvre Filia, si bien que tous les habitants se sont rués dehors pour comprendre d'où cela pouvait bien provenir. Nous avons profité de cette diversion pour nous faufiler entre les curieux et rejoindre le port sans attirer l'attention.

Le navire est à quai, ses grandes voiles ondulant dans le vent qui se lève en cette douce nuit. Nicolas est le premier à nous apercevoir et s'empresse de rejoindre le pont pour me hisser à bord du voilier. Nous n'adressons la parole à personne, le ciel parle pour nous. Alors Valéryan ferme la marche et largue les amarres avant que Quentin se mette à la barre, le regard sûr. Je regarde l'homme qui m'a entrainé dans cette aventure avec une admiration que je ne saurais décrire. Debout face au vent, Valéryan est le meilleur roi dont les sept royaumes puissent rêver. Ses cheveux fous encadrent son visage tandis que sa chemise moite de sa transpiration lui colle au corps. Je me perds dans la contemplation de sa beauté mêlée à son charisme et, pour la première fois, je prends le temps d'admirer ce que je ne regardais qu'à la dérobée.

Je vois les traits fins de son visage que la lune éclaire. Son large front barré de quelques traits de tensions. Ses yeux froncés aussi noirs que la nuit, ses longs cils et ses sourcils fournis. Je vois son nez droit, la transpiration de notre folle course qui ruisselle doucement sur ses tempes et ce tressaillement qui agite sa joue nerveusement. Je vois sa bouche, la courbure de ses lèvres qui hésite entre la moue et le sourire. Je vois sa mâchoire carrée, sa barbe naissante qui ne demande qu'à être rasée et son cou imposant qui repose sur des épaules larges, prêtes à porter le monde.

— La vue est magnifique, n'est-ce pas ?

Je sursaute quand Nicolas s'adresse à moi, prenant conscience que je ne suis pas seule sur ce navire. Je bafouille, triture mes doigts et jette un dernier coup d'œil à Valéryan qui s'essuie le visage sur un bout de chemise avant de retrouver un tant soit peu de contenance.

En effet, en dehors de Valéryan, la vue est magnifique. Les lumières de Filia se mêlent aux étoiles et il est même possible d'apercevoir celles d'Avia, plus importantes en nombre bien que discrètes. Cet émerveillement est certainement dû au fait que nous naviguons de nuit pour la première fois —bien que j'aie l'impression d'avoir passé ces derniers mois sur un bateau.

— Dans combien de temps arriverons-nous à Vi ?

Nicolas hausse les épaules, fixant un point sur l'horizon.

— Certains disent qu'il faut une journée, d'autres deux. Les plus pessimistes hurlent à qui veut l'entendre que les Dieux en barrent l'accès.

— Qui sait ? Nous pourrions mourir engloutis par la mer ou une de ses horribles créatures avant de poser pied à terre ! raille Rydstorm qui nous a rejoint, aussitôt puni d'une tape sur l'épaule peu amicale provenant de Meredith.

— Quelles créatures ? '

D'aussi loin que je me souvienne, les mers ne sont censées contenir que de l'eau et beaucoup de sel. Ce n'est pas pour rien que la légende de la nuit raconte qu'elles sont faites des larmes de la déesse.

— Des choses horribles ! ajoute Rydstorm sans cacher son hilarité. Les marins disent que la mer de Vi regorge de mystères qu'il vaut mieux ne pas découvrir. Par exemple... si tu regardes l'eau assez longtemps pour y apercevoir ton reflet, une immense pieuvre à sept tentacules surgit pour t'engloutir au fond de la mer et nourrir les dieux.

Je hoquète et cherche le regard de Valéryan pour y trouver refuge. Il ne me rassure pas le moins du monde, trop occupé à ôter sa chemise et sourire aux histoires saugrenues de celui qui est devenu son ami malgré lui.

ORIGINELS [ Les enfants de la lune vermeille ]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora