— En dés, les abricots, Oliver, a sifflé Raven, qui se prenait pour un petit dictateur.
— Oui... a murmuré Oliver, qui venait de passer un quart d'heure à éplucher les abricots.
— Non, en tranches, suis-je intervenue. Les dés c'est pourri.
— Je... a balbutié le pauvre Vétéran, tyrannisé.
— En dés ! a réclamé Raven.
— Et pourquoi pas effilés ? a suggéré Saburo, vêtu d'un tablier tâché d'avocat et de jus de poisson.
— Hmm... effilés ? s'est demandé Raven. Non, non, en dés.
— Mais moi, je veux en tranches ! ai-je gémi. Oliver, fais des tranches !
— Anthinéa, ne fais pas l'enfant ! Non, nous ferons des dés !
— Des tranches !
— Des dés !
— Je peux faire une moitié de tranches et une moitié de dés, a suggéré Oliver.
— Essaie un peu, l'ai-je menacé. C'est moi l'Escortée, c'est moi qui commande, on fait des tranches.
— C'est moi l'Escortée, c'est moi qui commande, m'a imitée Raven, un air dégoûté sur le visage. Non. Je veux des dés !
— Des tranches !
— Des...
Une tornade brune a fait irruption dans la cuisine, précédée puis soutenue par un chapelet de menaces espagnoles.
— ... et je vous préviens que si la cuisine n'est pas NICKEL CHROME avant le repas, j'en prends un pour taper sur l'autre !
— Mais, maman...
— Il n'y a pas de « mais maman » ! Le pauvre Oliver est très embarrassé, ça ne se voit pas ? Fais donc des billes, Oliver ! a tranché ma mère, avant de retourner créer son document PowerPoint pour sa conférence d'automne.
Le malheureux Vétéran a donc été contraint de tailler des billes. C'était bien plus dur que des tranches, veuillez me croire.
Le repas s'est très bien déroulé. Oliver était encore très tendu, mais l'épisode des abricots – et c'était, je pense, le but de la manœuvre de Raven – a apaisé les choses, en fait. Le Vétéran est parvenu à grignoter un peu de tout, et a même répondu à quelques questions de mon père concernant l'Italie – en fait, mon père est Basque du côté de son père, mais Italien du côté de sa mère.
Et puis, il y a eu le coup de fil de Ove.
— Tina ! C'est pour toi.
J'ai saisi le téléphone sans fil, intriguée.
— Salut, p'tite peste ! Alors, tu t'reposes ?
Glups. J'ai fait signe à Oliver de se taire, et il a aussitôt perdu ses couleurs.
— Ou... oui, et toi ?
Question stupide.
— Ben ça va écoute. C'est un peu crevant, là, mais on s'amuse bien !
« Sans moi », j'ai pensé, très égoïstement.
— Hmmm. Et pourquoi tu appelles ?
— Pour entendre ta jolie voix. Pourquoi ? J'ai pas le droit de t'appeler quand je veux ?
— N... non, mais c'est pas... enfin je ne m'y attendais pas...
On a papoté comme ça pendant quelques minutes, de tout et de rien. Et puis j'ai entendu une voix sèche, du côté de mon interlocuteur.
— Ah, merde ! V'là Sawyer qui s'ramène ! J'vais m'faire tuer s'il sait qu'je t'ai téléphoné ! J'te laisse, p'tite conne. T'as un bisou de Boyd !
— D'accord, je t'embrasse !
*Clic*
Je ne sais pas s'il a entendu ma dernière phrase – j'espère que non, sinon je n'ai pas fini d'en entendre parler –, mais toute la tablée, devant moi, l'a entendue, elle. Ils tiraient tous une tête extraordinaire. Et pour ne rien arranger, mes joues avaient à nouveau pris feu. Raven s'est délicatement essuyé les lèvres avec sa serviette et a penché la tête sur le côté pour me lancer un regard des plus moqueurs :
— Comme c'est embarrassant...
Oliver l'a regardé en haussant un sourcil.
— Aurais-je manqué quelque chose ? lui a-t-il demandé d'un air circonspect.
— Une bluette, mais je pense que tu t'en doutais, lui a répondu Raven sans lui accorder un regard.
Le Vétéran m'a jeté une œillade réprobatrice, que je n'ai pas appréciée. J'ai aussitôt publié un démenti :
— Non mais oh ! Mais non, hein ? C'est un réflexe ! J'aurais pu aussi dire « bisous » ou « bye bye », ç'aurait été la même chose.
— Très convaincant, a ironisé le Russe en avalant quelques gorgées d'eau.
— Tu es toute rouge, petite strip-teaseuse, m'a narguée Saburo.
Nous avons fini le repas en nous lançant des piques acides, concernant divers sujets. Mon père a fini par calmer le jeu.
