Vibrating (2)

46 15 1
                                    

C'est encore moi !

Alors Raven n'est sorti qu'hier midi du château. Il était littéralement exténué, et est tout de suite parti se coucher, demandant à Saburo de surveiller Oliver. Ce dernier subissait encore les effets du « T61 », mais ses membres étaient parfois pris de spasmes. Je le sais parce que j'ai escaladé le mur du château pour pouvoir regarder par la fenêtre, avant que mon père ne vienne me demander de mettre la table... et m'engueuler parce que je n'avais rien à faire là. C'est d'ailleurs lui qui a porté son repas au Japonais. Raven dormait comme une masse, j'avais reçu l'interdiction d'entrer dans la vieille bâtisse et mon père craignait aussi qu'il arrive quelque chose à ma mère – je pense qu'elle lui a décrit ce que les Escortées ressentent vis à vis des Proscrits. Il a l'air de bien comprendre notre situation, même si j'ai l'impression que tout ça l'énerve intensément.

Bref, Raven s'est levé vers sept heures du soir, pas lavé, pas rasé, décoiffé. C'était trop drôle. Il a mangé des pancakes nappés de confiture d'abricot – mon père fait immanquablement des pancakes pour la rentrée, et vu que j'ai un peu séché la rentrée et que mes parents ont pu négocier une semaine de télétravail en prétextant que j'avais de gros soucis de santé... –, a siroté un thé noir et est allé remplacer Saburo.

— Petite strip-teaseuse, tout va bien ? J'ai entendu ton père te passer un savon tout à l'heure...

— Ça va, ça va, ai-je grogné, je voulais juste savoir ce qui s'était passé...

— Oliver s'est réveillé – oui, merci, thé au jasmin pour moi, s'il vous plaît – il y a deux heures. Enfin, il ressemble à un légume baveux pour le moment, mais il récupère plutôt bien. Merci beaucoup – non, je ne prends pas de sucre.

Le Japonais n'a pas laissé à son thé le temps de tiédir et a commencé à le boire sans sourciller. Son visage n'exprimait aucune émotion, mais j'ai quand même tenté de le faire parler :

— Et vous ?

— Oh, je n'ai rien fait de spécial. J'ai peu à peu diminué la vitesse de perfusion, comme Raven Orlov me l'a demandé, puis j'ai noté les heures auxquelles les signes vitaux de Lucca se mettaient à...

— Pardonnez-moi, mais je voulais vous demander si vous, vous alliez bien.

— Que t'importe ? m'a rétorqué l'Asiatique en posant ses paumes sur la tasse fumante.

— Que m'importe ? J'ai beau très mal vous connaître, vous n'en êtes pas moins l'un de mes Oncles.

Saburo a relevé la tête, les yeux brillants. Je lui aurais annoncé le retour sur terre du Messie, il n'aurait pas réagi autrement.

— Tu penses ce que tu dis ?

— Raven vous dirait même que je dis trop ce que je pense ! Saburo, je vois bien que vous êtes mis à l'écart par les autres. Je n'ai pas les mêmes relations avec vous qu'avec Jo ou Boyd, par exemple, mais je vous considère comme l'un des nôtres.

— L'un des leurs, tu veux dire ?

J'ai haussé les épaules. Je n'avais pas fait exprès de dire ça et pour moi les Proscrits ne forment pas vraiment un groupe à part : j'ai toujours eu l'impression de faire partie d'eux. Même si, je le sais désormais, ils ont à ce sujet un tout autre avis !

Le Japonais a soupiré profondément :

— Mais moi, j'ai tout de même tenté de te tuer. Tu... tu sais des choses sur moi... tu sais qui je suis... qui j'ai été.

Cette fois, ses mains se sont mises à trembler. D'expérience, avec Jin, je savais qu'il ne fallait pas que je le touche – les Asiatiques ne sont pas portés sur les gros câlins, du moins les vieux mafieux, sachez-le –, donc je me suis retenue de poser mes mains sur les siennes.

— Vous savez, j'ignore le quart de ce que les Oncles ont fait, c'est la vérité. Peut-être même que ça vaut mieux. Mais par exemple, je sais ce que Jin a fait. Avec Mei, sa famille...

Saburo a relevé la tête et a froncé les sourcils.

— Quand as-tu appris...

— L'année dernière, avant que la mafia ne s'en mêle. Il m'a présentée à elle et m'a avoué la vérité dans la foulée.

Le Japonais n'a rien dit, il n'a manifesté aucune émotion. Puis, il a enserré entre ses doigts la tasse de thé vide, avant de lâcher :

— Il y a cinq ans, j'ai effectué un contrat...

Mince, j'aurais dû lui préciser que je n'étais pas le curé du village et que non, je n'avais pas du tout apprécié d'entendre la vérité de la part de Jin... Trop tard.

— Elle avait vingt-deux ans. Elle était enceinte.

Il a relevé la tête, et je me suis à nouveau souvenu qu'il n'était pas qu'un gentil Japonais aimable et serviable, bizuté par l'ensemble de mes Oncles. Je n'avais ni envie, ni besoin de savoir !

— Elle...

— Bon ! Ça va aller, oui ?! Je sais que vous avez tué un tas de monde. C'est très triste donc repentez-vous, arrêtez de tuer des gens, et voyez si vous ne pouvez pas faire de l'humanitaire pour rééquilibrer votre karma.

Il allait me répondre assez peu aimablement, vu son froncement de sourcils, mais la porte s'est ouverte. Raven aidait un Oliver livide et tremblant à marcher.

— Une chaise ! Une chaise, petite sotte !

Je me suis hâtée d'apporter au Vétéran de quoi s'asseoir. Il m'a remerciée d'un sourire – une grimace – mais n'a pas été capable de parler. Raven a lâché un soupir exaspéré :

— Oliver doit encore récupérer, une heure ou deux suffiront. Je lui ai fait une injection d'amantadine afin de pallier les problèmes cognitifs qui pourraient être liées à l'état végétatif permanent induits par l'euthanasique, mais je pense que cela sera inutile, vu ses capacités de régénération.

Après une heure, en effet, Oliver était capable de se mouvoir et d'articuler quelques mots. Je pense qu'il avait très mal, vu l'état de contraction de son visage. On a mangé vers neuf heures. Ma mère et mon père étaient aux petits soins pour Oliver, ce qui a beaucoup amusé Saburo et ce qui a encore plus exaspéré Raven. Moi aussi, j'ai trouvé ça plutôt injuste. Il a passé un an à me harceler, merde !

L'Escorte 4Where stories live. Discover now