Chapitre 13 : Décision (non corrigé)

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Nous restâmes ainsi, les yeux écarquillés, durant ce qu'il me sembla être des années. Orhond emporta le cercueil sur son navire, mettant tous ceux qu'il croisait au défi de lui arracher son paquet. Puis, nous perçûmes les mugissements des Baleines, indiquant définitivement que la dépouille de mon père venait d'être kidnappée. Jamais il ne serait enterré avec celle qu'il aimait. Jamais ma mère et lui ne seraient réunis, pas même dans la mort. 

-Ben ça alors, souffla Kaï, hébété.

-Mais pourquoi tu l'as laissé faire ? m'emportai-je soudainement, les poings serrés.

-Que voulais-tu que je fasse, rétorqua le Roi. Agir contre lui nous aurait fait perdre un quart de nos armées...

-La guerre, la guerre, et toujours la guerre ! crachai-je, le cœur serré. Aïru n'est plus ton meilleur ami, maintenant ?!

La mine impassible de Kaï se mua brusquement en une grimace de rage :

-Tu es tout simplement inconscient. Tu ne comprends pas les enjeux auxquels je fais face.

Je fus pris d'un rire fou, méprisant :

-Bien sûr, je ne comprends pas ! Je suis inconscient !

Le vieux Roi me jeta un regard assassin, qui fit aussitôt fondre mon sourire :

-C'est moi qui subit toutes les conséquences de la guerre ! C'est moi qui souffre le plus, qui me prend tout sur la gueule encore, encore ! Ca ne s'arrête jamais ! Et toi tu me dis quoi ?! Que je suis inconscient ?! Incapable de comprendre les enjeux ?! MAIS JE SUIS AU COEUR DE CES PUTAINS D'ENJEUX ! ET C'EST MON DRAGON QUI DETERMINE LA MOITIE D'ENTRE EUX, JE TE RAPPELLE !

La vieille tortue se redressa et me domina de toute sa hauteur. Qu'il vienne ! Qu'il vienne me dire que je ne me rendais pas compte ! Avait-il une seule idée de ce que je vivais ?! De toutes les atrocités qui ne cessaient de s'abattre sur moi ! Et après ça serait ma faute : ma faute si Aïru, Julie, Jack, Bört et Thiflea étaient morts ; ma faute si Phoenix subissait une Deuxième Guerre des Trônes ; ma faute si Kaï avait autant de responsabilités. Tout revenait toujours à moi, dans les deux sens ! Comment osait-il prétendre que je ne me rendais pas compte ?!

Il pointa une patte accusatrice sur moi :

-Tu es trop égocentrique pour te rendre compte de la moindre chose.

J'eus alors une brusque envie de meurtre. Je voulais bondir sur son flanc, le plaquer au sol et enserrer son cou de mes mains. Les serrer étroitement sur ses veines pour couper la circulation. Voir son visage devenir violacé, ses yeux exorbités refléter son regret d'avoir prononcé de telles paroles...

-Je me casse, sifflai-je en quittant ma chaise roulante.

D'abord quelque peu titubant, j'eus du mal à trouver mon équilibre. Puis, après quelques mètres de franchis, je pus accélérer le pas.

-C'EST CA ! hurla Kaï, enragé, et je fis volte-face, les yeux écarquillés. CASSE TOI ! COMME CA J'ARRETERAI DE VOIR TA SALE GUEULE D'EGOISTE ARROGANT ! VA-T-EN, LOIN ! OU PERSONNE N'AURA A SOUFFRIR DE TON CARACTERE DE MERDE !

Les larmes me montèrent aux yeux :

-Parfait alors, je m'en vais !

-EXACTEMENT ! rugit Kaï, les membres tremblants.

Il eut un silence, tandis que ma poitrine se comprimait pour réprimer un sanglot. Kaï n'avait pas de cœur. Kaï me haïssait et il ressentait un besoin profond de me détruire. C'était là la vérité.

-Est-ce que tu as déjà songé au fait que tu as de la chance, dans la vie ? poursuivit-il, les dents serrées. Le récit de George ne t'a pas suffit ?! Non, bien sûr ; tu dois être celui qui souffre le plus. Le monde est contre toi, chaque créature te hait ! Oh, tu es tellement malheureux ! Personne ne s'occupe de toi, personne ne peut comprendre ce que tu ressens... ! MAIS PUTAIN, LE MONDE NE TOURNE PAS AUTOUR DE TOI ! MOI AUSSI JE SOUFFRE ! Tu n'écoutes rien de ce que je te dis ! As-tu pensé au fait que je n'ai AUCUN CONTRÔLE sur MA vie ?! Tout est contrôlé par mes obligations, mes devoirs ! Aucune place pour le plaisir, aucune place pour l'amour, aucune place pour l'amitié ! Aïru ? Il DOIT mourir ! Julie ? ELLE DOIT MOURIR ! Je dois diriger des armées entières, subir la pression que m'imposent les dirigeants des Iles, gérer les intempéries de la vie, comme le fait que ton grand-père débarque sans prévenir ! ET SURTOUT N'OUBLIONS PAS LE PAUVRE KENFU ! Que je dois sans cesse surveiller ! Sans cesse faire attention qu'il ne fasse pas de bêtises ! Je dois être là pour répondre à toutes ces questions ! Etre là pour le calmer s'il s'emporte ! Et, attention ! Si ô par malheur je fais un petit mouvement de travers, j'ai le droit à tout son lot de regards méprisants, de paroles sèches et dures ! Et il se dit pas arrogant ! Pas égoïste ! OR TOUT TOURNE AUTOUR DE TOI ET DE TOI SEUL ! Parce que oui, mon vieux, je suis désolé de t'apprendre que tu n'es pas tout seul à souffrir ! Et que tu n'es en rien celui qui souffre le plus ! TU N'AS AUCUNE IDEE DE CE QUE JE VIS TOUS LES JOURS ! Et je ne suis pas le seul ! Tu as pensé à George, Jeane et Sinna ?! A l'heure qu'il est, ils devraient être dans les camps de retranchement sécurisés, avec leur famille ! A la place ils ont choisi de te suivre TOI ! Pour se battre à tes côtés et te soutenir ! La mère de Sinna souffre d'un cancer très agressif, son père d'une grave maladie de mémoire, et ses deux jeunes frères vont se retrouver seuls ! Elle donne sa vie pour être avec toi, te soutenir au lieu d'être auprès des siens ! EST-CE QUE TU TE RENDS COMPTE DE CA ?! OU BIEN CE SERA ENCORE LEUR FAUTE ?!

Je manquai de tomber net au sol, les yeux écarquillés sous la force de sa réplique. J'étais incapable de penser. Incapable de réfléchir. Les mots fusaient dans mon esprit dans un brouhaha assourdissant, empêchant toute phrase de prendre sens.

-Et ce que tu as vécu dans ton passé n'est en rien une excuse, ajouta le vieux Roi d'une voix plus basse, plus calme.

Mon regard tomba sur mes pieds, qui flanchaient tant de douleur physique que mentale. Kaï avait raison. J'étais odieux. J'étais arrogant, égoïste. Je n'avais aucune considération pour les sacrifices qu'entreprenaient les autres pour moi.

-Je vais faire mon sac, murmurai-je d'une voix à peine audible, brisé. Je vais quitter Phoenix pour que personne n'ai à souffrir davantage à cause de moi.

La vieille Tortue se détendit puis m'accorda un regard tendre et hocha lentement la tête.

-Il y a trop de questions sans réponse, poursuivis-je en relevant le menton, les yeux chargés de larmes. Je ne sais même pas qui je suis, pourquoi le Dragon m'a choisit moi et pas un autre, ni même comment accomplir ma Prophétie.

Il eut un silence pesant. Kaï ne disait toujours pas mot.

-Je vais m'en aller et trouver mes réponses moi-même. Seul. Je n'ai pas de temps pour George, Jeane et... et Sinna. Ils n'en ont pas pour moi non plus.  

Mais cette fois-ci, le Roi fit un pas en avant, plaça ses mains sur mes épaules pour plonger son regard azur dans le mien et me souffla doucement :

-Le Temps est une chose effroyable, qui paralyse ton cœur, qui s'imprègne de ta peur pour davantage augmenter tes souffrances. Je le sais mieux que personne. Mais il y a une chose que je n'ai compris que bien trop tard, et à présent je regrette amèrement ce que j'ai pu faire par le passé sous son l'emprise. Car le Temps, Kenfu, n'est rien. S'il représente les plus grandes peurs et les plus grands doutes de chaque créature de ces Mondes, il n'est qu'un pauvre mirage. Une source de douleurs imaginaire, tirée de nos cauchemars. Le Temps n'existe que si on lui donne un nom.

Je relevai des yeux embués de larmes vers Kaï, et il se pencha davantage sur moi :

-Tu es une créature comme toutes les autres. Tu as un coeur qui bat et une âme déchirée d'amour et de haine. Mais aujourd'hui plus que jamais, ne l'oublie pas, tu es Kenfu. Tu es le sauveur des Huit Mondes.

Tandis qu'un sanglot me montait à la gorge, Kaï me prit dans ses bras et je m'y blottis, laissant sa chaleur réconfortante m'envelopper.





Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant