Chapitre 28 : Martin Rogers

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Je lâchai un grognement, les muscles endoloris. J'ouvris alors doucement les yeux, une grimace de douleur au visage. J'étais étendu sur ce même lit de camp qui me meurtrissait le dos, le regard levé sur le plafond grisâtre qui semblait fait de béton. Je me redressai légèrement, une grimace agrippée au visage. Quelques tâches dansèrent devant mes yeux, mais je les ignorai ; j'étais habitué à les voir.

Je balayai la minuscule pièce du regard, inquiet, et vis que le petit espace n'était meublé que d'une table avec chaise, ainsi que mon couchage de fortune. A ma gauche, une immense fenêtre donnait une vue' spectaculaire sur une grande vallée de collines. Je quittai le lit, les membres tremblants de fatigue, et jetai un regard en contre-bas de la vitre. Grosse erreur ; je titubai vivement vers l'arrière, les yeux écarquillés et le cœur battant. J'étais à flanc d'une falaise, à une altitude d'au moins trois cents mètres de haut.

Je tombai assis sur le sol dur et glacial et me passai les mains dans les cheveux à plusieurs reprises, tentant vainement de me calmer. Les souvenirs ressurgissaient et avec eux, la crainte terrible d'avoir tué quelqu'un. Pire encore, tué l'un de mes amis.

Pourquoi ne devais-je donc jamais garder le moindre souvenir de ces instants où le Dragon prenait le contrôle ? Ne restait dans mon esprit qu'un trou béant, comme si quelqu'un s'était amusé à découper les séquences d'images qui défilaient dans ma tête pour jeter les parties où mon Don se révélait dans son intégrité.

Je lâchai un gémissement ; il me semblait avoir dormi une éternité et pourtant, j'étais épuisé. J'avais mal partout. Ma peau me brûlait par endroits, tandis que mes jambes et mes bras semblaient être écartelés. Fébrile, je me relevai et ôtai mon t-shirt pour contempler l'étendue des dégâts.

Les plaies sur mes épaules, où le Loup avait planté ses griffes, avaient cicatrisées. Il ne restait d'elles qu'une cicatrice violacée, comme un hématome, ainsi que quelques croutes de sang séché. Mon entaille sur la poitrine était dans un pareil état. Je conclus qu'il en devait être de même pour les griffures dans mon dos.

J'entendis alors des pas et la porte s'ouvrit dans un bruit métallique sourd ; je pivotai lentement sur moi-même, grimaçant de douleur.

La silhouette de Nell se dessina alors sur le seuil, et elle s'accouda à l'embouchure :

-T'es dans un sale état.

-Je suis au courant, maugréai-je d'une voix rauque, comme à bout de force.

Elle me contempla de haut en bas, septique, et je laissai tomber mon t-shirt sur le lit. J'étais déjà fatigué de le tenir.

-Je savais que tu étais con, soupira-t-elle au bout de ce qu'il me sembla être un éternité, mais je savais pas que tu l'étais à ce point là.

Je battis des paupières, exaspéré, mais ne rétorquai rien. Je n'en trouvai pas la force. Nell fit quelques pas vers moi et pointa un doigt accusateur sur ma poitrine :

-Tu n'as fait qu'empirer ta situation ! Maintenant, ils veulent t'envoyer aux Etats-Unis !

-Où ?

-A l'Ambassade, siffla-t-elle entre ses dents, véritablement hors d'elle. Ils vont réunir un Conseil d'urgence juste parce que tu as libéré de la magie dans notre QG !

Elle se mit à faire les cents pas et je la regardai faire, las.

-Après que je me sois envolé dans les airs, fis-je d'une voix morne, il s'est passé quoi ?

Elle se stoppa net et fronça les sourcils :

-Tu es sérieux ?! Tu ne te souviens de rien ?

-Je ne me souviens jamais... soupirai-je.

Soudain, elle releva la tête ; un homme accourait dans notre direction depuis le couloir.

-Nell, Rogers est arrivé ! lança-t-il, les yeux écarquillés.

Il abordait une mine effarée, presque nerveuse. Sa collègue bondit vers mon lit, attrapa vivement mon t-shirt et me l'envoya en pleine figure. Sans me laisser le temps de réagir, elle m'attrapa le bras et m'entraîna hors de la pièce.

-Qui est Rogers ? questionnai-je en enfilant mon vêtement, soudain boosté par cette énergie soudaine.

Mes muscles se réveillaient enfin.

-Mon boss, grinça-t-elle entre ses dents.

Nous virâmes à droite, pressés, et traversâmes ensuite de nombreux couloirs au pas de course. Nell finit par nous arrêter devant de lourdes doubles portes et me lâcha enfin le bras. Elle souffla un bon coup, puis son collègue poussa la poignée. Je découvris une grande salle, tapissée de drapeaux aux couleurs rouges, blanches et bleues, d'autres bleus décorés d'étoiles et d'autres ornés du symbole des Huit Mondes, le cercle des Huit Pierres, sur un fond de noir. Au centre, une immense table de bois occupée par une trentaine de chaises trônait. A son pied, qui nous tournait le dos, un homme droit aux cheveux poivres et sels, vêtu d'un élégant costume trois pièces. Quelques soldats portant leurs uniformes militaires bavardaient autour de lui, visiblement nerveux.

Lorsque les portes se refermèrent derrière nous, ils pivotèrent dans notre direction. L'homme en costume fit quelques pas dans ma direction ; ses yeux bruns brillaient d'une lueur à la fois curieuse et inquiète.

-Vous êtes le fameux Erkaïn qui possède un Don, sourit-il.

Mais je plissai les yeux, méfiant, ne préférant pas lui rendre son air jovial. Un homme trop ouvert ne m'inspirait guère confiance.

-Je m'appelle Martin Rogers, poursuivit-il. Je suis le directeur de la DGSM et le Représentant Français de notre ordre à l'Ambassade.

-Pourquoi s'intéresser à moi ? répliquai-je plutôt, le ton froid.

Il arqua un sourcil, surpris de mon ton aussi sec, mais ne sembla pas s'en offusquer :

-Une source de magie trop grande est synonyme de danger pour l'Humanité, qui en est dépourvue. L'un de nos rôles est de la protéger de toute forme de magie destructrice.

-Mais j'ai été obligé de la libérer ! m'emportai-je, à bout de nerf. Vous alliez me tuer, moi et mes amis ! Vous ne m'avez pas laissé le choix !

Je n'appréciai pas le ton de Rogers, ni son air trop important ; il n'était ni un héro, ni un homme qui méritait le respect à mes yeux. Alors pourquoi prétendait-il être gardien et protecteur de son espèce ?!

-Tais toi ! cracha l'un des militaires. Tu as entendu qui il est ?! Tu ne te rends pas compte à quel point il est...

-Vous non plus ! rugit une voix féminine.

Je fis volte-face, stupéfait, et vis Sinna s'avancer férocement dans notre direction sous le regard hébété de Rogers. Elle se planta devant moi et déclara d'une voix forte :

-Vous avez devant vous Kenfu, l'héritier du trône Erkaïn ! Et même ! Puisque son père et son grand-père sont morts, il est devenu par ce fait le Roi des Erkaïns ! Il est l'Elu de la Prophétie du Dragon de Jade ! Le détenteur du Don de Jade ! Le Sauveur des Huit Mondes et le seul espoir qu'il nous reste pour stopper la Seconde Guerre des Trônes !

Sous le choc, l'entendre ainsi parler de moi me fit un drôle d'effet. Moi même ne m'était pas reconnu dans sa description, tant que je l'avais en horreur. Cependant, ce ne fut pas le cas des Hommes ; les yeux écarquillés, ils semblaient pétrifiés de terreur. Même Nell fut forcée de reculer de trois pas. Rogers tomba assis sur une chaise et murmura :

-Nom de Dieu...

-Une guerre fait rage dans notre Monde, implora Sinna. Vous n'avez pas idée de tout ce qu'on a traversé.

Le directeur releva le regard vers nous et souffla :

-Alors, il va falloir tout me raconter.

Les Mondes d'Enohr ; les Secrets de Kaï -Tome 3 Cycle 1 / Terminée /Où les histoires vivent. Découvrez maintenant