Chapitre 16

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Ils étaient là depuis plus de huit heures. A plat ventre pour certains, embusqués, accroupis pour d'autres, toutes armes et lunettes de visée braquées sur la sphère, tous sens en alerte.

L'objet était immobile, immense au milieu de son cratère, flottant comme un soleil noir.

Les radios étaient tantôt silencieuses, tantôt assourdissantes. Le commandement hurlait des ordres par vagues et les équipes sur le terrain les suivaient sans rien dire. Les radios se turent ensuite pendant de nombreuses minutes qui parurent comme des heures entières alors qu'ils fixaient la sphère, terrifiés. Le commandement rugit de nouveau sur les ondes, animant les radios de chacun, donnèrent de nouveaux ordres puis se turent une nouvelle fois.

Félix, son équipe ainsi que toutes les autres autour du périmètre restaient cois, incrédules, assourdis par cette alternance surréelle de terreur immobile et de cris stridents.

« Félix, pourquoi on nous fait rester là ? »

Il se tourna vers Maïa, la vit en larmes et la rassura. Il lui dit que tout irait bien puis reposa son œil sur sa lunette de visée. Il s'aperçut vite que sa vue s'était brouillée, l'objectif était humide. Lui aussi pleurait.

Une boule se forma dans son ventre, remonta ses entrailles comme un spasme délirant, se serra, lui rappela que l'objet de leur peur, de leur incompréhension se tenait à quelques kilomètres d'eux, tranquille. Malosane trembla en pensant qu'à l'image de la sphère, la boule dans son ventre allait s'animer, qu'elle allait tout détruire et le laisser exsangue, perdu au milieu du goudron éventré des routes et des gravats. Il s'imagina les yeux vides et la langue pendante, traîné jusqu'à une mort inéluctable, brisé par les vagues et avalé.


*

-De quoi souffrait-il, docteur ?
-...
-Docteur ?

Paterson se retourna enfin vers Léon. Son regard était confus, des gouttes de sueur perlaient sur ses tempes et sa respiration se fit plus haletante.

-Il ne reviendra pas, vous savez. Il est mort.
-Oui, docteur, je sais. Dites-moi de quoi souffrait Casadei.
-Un syndrome de l'imposteur très particulier, très spécifique. Certains se prennent pour Napoléon, lui se prenait pour un explorateur à la sauvette, un certain Ernest Bale. Un britannique, un aventurier ou je ne sais quoi... Casadei me confiait à demi-mot avoir survécu à un drame, de s'être enfui et lorsqu'on ne l'a pas crû de retour au pays, on l'a déshonoré, trahi. Il me racontait comment il avait choisi de se terrer en Suisse dans le village natal de sa mère pour y trouver la paix. Un persona intéressant, peu banal si vous voulez mon avis. Il en était bluffant dans sa personnification.
-Se peut-il qu'il se soit inventé cette personnalité pour vraiment fuir quelque chose ? Se peut-il qu'il fusse réellement cet Ernest Bale ?
-Pour qui me prenez-vous ? La voix de Paterson s'était faite tonnante, furieuse, la moue sur son visage laissa place à un dédain manifeste. Détective, je vous saurais gré de ne pas critiquer mes compétences. Je suis âgé mais pas sénile.

Léon se redressa dans le fauteuil qu'on lui avait proposé : « Je ne voulais pas vous blesser, docteur, je voulais simplement savoir si il y avait des faits qui étayaient son récit. »
-La seule chose qui pour ainsi dire allait dans son sens était un vieux journal... un vieux journal de bord. Son regard se fit vague, la tension explosive présente quelques secondes auparavant disparut tout d'un coup. Il l'amenait avec lui à chaque séance. Il m'a dit ne jamais s'en séparer. Il m'a dit que c'était sa honte, que c'était son seul souvenir de son histoire...

Paterson se mit à parler encore plus bas. Léon avait du mal à comprendre certains de ses mots, il bafouillait, s'emmêlait. Ses avant-bras tremblèrent, se retroussèrent jusqu'à ce qu'il serre son propre torse dans l'espoir de se réchauffer, de se rassurer.

La SphèreWhere stories live. Discover now