Chapitre 34

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X, quel intérêt ? Les noms ne sont plus ce qu'ils sont.
X2 XxXx 19Xx.

Le naufragé était retourné se reposer. Sur les conseils de DomXxqXe, nous lui avions attribué une chambre à l'écart, se disant qu'il serait plus à l'aise seul. Tout le monde sembla d'accord et je me rendis compte que c'était plus pour nous tous que pour lui. Une vague de malaise se déversait sur nous quand il entrait dans une pièce, quand il nous regardait fixement.

Peut-être était-ce parce qu'il portait effectivement les vêtements d'un mort, qu'il avait pris sa place.

Il ne disait rien, ne demandait rien. Il était simplement là, il était toujours là. Je sens encore son regard sur moi, ses yeux aussi me parurent noirs comme des de billes de charbon. J'eus peur de me perdre dans leurs profondeurs. Peut-être m'y suis-je déjà perdu. J'eus toutefois chaud, bien plus chaud qu'ailleurs. J'eus faim puis j'éprouvai de la satiété. Mon ventre arrêta de crier famine, mes muscles se détendirent. Ma chair se raffermit chaque seconde comme plongé dans un bain chaud, un bain de flammes. Recroquevillé dans un lit en m'endormant, je me réveillai dans la même position. Je pense m'être éteint comme ça. Tout ce dont je me souvins de cet étrange rêve, c'est d'avoir levé la tête lorsque quelqu'un en a retiré le couvercle. La lumière, telle un halo divin s'attacha à moi, me frappa de stupeur. Peut-être m'y suis déjà perdu car je me mis à pleurer de nouveau. Mes larmes se noyèrent dans le bain salé qui goûtait ma rancœur et ma peine.

*

La sensation déjà familière de l'eau qui s'engouffre dans sa bouche le rappela à sa rencontre avec Anna quand il disparut sous les flots. Il se souvint de cette main qui, comme un crochet, le remonta à la surface. L'eau sale de la baignoire se déversa dans sa gorge, inonda ses poumons avec tant de douceur qu'il réalisa bien tard ce qu'il faisait. Ses yeux se rouvrirent et hurlèrent, cherchant à droite et à gauche le soutien, l'aide de qui que ce soit qui puisse l'aider. Son regard ne rencontra que les choses qui s'attardaient à l'orée de la baignoire, leurs mains décharnées sur le rebord de céramique. Leurs regards se perdirent dans les flots qui s'agitaient au-dessus de lui et de l'autre côté d'un couloir noir et sombre qui ne fit que s'allonger.

Léon se sentit tomber, attiré par son propre poids vers des profondeurs infernales. La forme de la baignoire lui apparut alors qu'il coulait bien en deçà du sol qu'il se figurait sous ses pieds une minute plus tôt. Les bras tendus et les jambes légèrement pliées, il s'enfonça dans un océan de noirceur. La lumière du lampadaire brilla longtemps au-dessus de lui. D'abord une puissance farouche illuminant la nuit, elle s'affaiblit jusqu'à devenir la lumière d'une étoile mourante dans un ciel tout aussi décrépi.

Quelque chose frôla son bras droit puis son dos. Léon n'osa frémir. Autour de son cou et de sa hanche, de longs filins s'enroulèrent avec délicatesse et le tirèrent vers le bas. La pression sur sa gorge s'accentua et les ténèbres l'envahirent un moment. Léon ne sut dire si cela dura une seconde ou une vie mais un jour il en atteignit le fond.

Ses pieds, lourds comme des bottes de fer, touchèrent le sol, s'y enfoncèrent légèrement. Ses yeux, éclairés par sa foi en l'obscurité comme une lanterne prodigieuse, lui révélèrent un banc de sable monumental, titanesque que les ténèbres rêvaient d'engloutir complètement. Ses poumons s'agrandirent comme si de l'air circulait de nouveau autour de lui. Fort d'une armure comme un scaphandre protecteur, Léon s'élança dans l'inconnu, révélant un pan du banc de sable à mesure que le précédent retournait à l'oubli. Il se rappela des noms qu'il avait lu dans le journal de Bale et se figura de nouveau ces ratures qui en alourdissaient terriblement la lecture. La forme de ces taches d'encre au-travers desquelles Léon essayait tant bien que mal de discerner des lettres, des mots, lui parut bien proche d'une flaque d'huile qui remonte à la surface et qui couvre tout. Il tendit la main vers ces choses qui semblaient disparaître, ces noms comme celui d'XxXXx ou d'XxxXx. Pourquoi s'évanouissaient-ils plus encore chaque jour ? Pourquoi leur absence devenait-elle le symptôme d'une nouvelle arrivée ?*

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