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Éryan ~

- Je n'ai jamais... voulu être ici. Bois si toi oui.

Je suis debout, le regard dans le vague. Je n'ai bougé depuis qu'elle a commencé à toquer à ma porte.

Je veux qu'elle sache que je suis là, qu'elle sache que je l'entends... Je fais exprès de faire du bruit avec mes pieds quand je me dirige vers mon sac le plus vite possible. Je sors un papier et un stylo .

Je me dépêche d'écrire puis glisse la moitié du papier sous la porte pour voir si elle le tire. Je me sens idiot, enfantin, mais c'est la seule idée qui m'ait traversé l'esprit.

- Ramène-moi un verre, alors.
- C'est à ton tour, m'informe-t-elle.

À mon tour ? Que dois-je faire au juste ?

Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle reprend :

- Dis-moi quelque chose que tu n'as jamais fait.

Je l'entends s'asseoir tout près de la porte, alors je fais de même. Armé de bouts de papier et d'un stylo, je me remets à écrire.

- Je n'ai jamais nagé sans maillot.

Mes oreilles accueillent le rire d'Estée sans aucun problème. Ce son est doux, sans contrainte, libérateur.

- GISÈLDE ! APPORTE DEUX VERRES ET UNE BOUTEILLE DE WHISKY !
- NON, NON, NON ! me suis-je dépêché d'écrire quand je l'ai entendu articuler sa demande. Je ne bois pas.
- Oups... au temps pour moi, s'excuse-t-elle. SEULEMENT UN VERRE AU FINAL, GISÈLDE ! se remet-elle à crier.

Je sens les pas de ladite Gisèlde qui dépose ce que je devine être une bouteille. J'entends le liquide couler dans le récipient.

Je n'ai aucun moyen d'être sûr de ce que j'avance, mais je pense qu'elle a bu une gorgée d'alcool, car le verre a quitté le plancher le temps de quelques secondes pour le retrouver peu après.

- Je n'ai jamais... hum, laisse-moi le temps de réfléchir...

J'attends donc ses mots qui ne viennent pas. Je crois qu'elle a abandonné, mais elle n'est pas partie. Je le sais parce que je la sens de l'autre côté du bois. Le silence me permet de me concentrer sur le son régulier de sa respiration.

- Je n'ai jamais entendu la voix de mon bien-aimé mari.

Je m'empêche de rigoler, car son ton était humoristique. Je me remets à gratter sur le papier avec mon encre. Je ne sais pas où elle croit aller avec cette déclaration, mais je sais que ce n'est pas très loin.

- Si je buvais, j'aurais bu.

Après qu'elle ait tiré la note loin de moi, j'en rajoute un autre.

- Je l'entends à chaque fois que j'ouvre la bouche.
- Fais-moi profiter de ce son, alors.

Je suis tenté de le faire. Elle ne sait pas à quel point j'ai envie de le faire. Malheureusement, mes cordes vocales ne veulent pas travailler en accord avec ma volonté. Il y a ce je-ne-sais-quoi qui m'empêche de sortir de mon mutisme.

- Pas aujourd'hui.

Je l'entends soupirer et murmurer quelque chose d'inaudible à mes oreilles avant qu'elle ne s'éloigne définitivement. Je ne sais pas où elle va. De toute façon, ça ne me regarde pas.

Je m'autorise à soupirer à mon tour.

Je me lève, les mains sur les hanches, la tête balancée en arrière pour s'opposer à la coulée de mes larmes. Je fais les cent pas dans la pièce qui m'est dédiée. Je m'attarde sur chacun des détails qui m'entourent.

La plante décorative dans le coin droit ressemble tellement à une vraie... J'espère sincèrement que ce n'est pas le cas, je ne me sens pas de m'occuper d'un autre être vivant que moi. L'air que je respire s'apparente à des gaz toxiques ces derniers temps, je suis préoccupé par ma propre survie.

Je m'approche de ladite plante, je la caresse du bout des doigts. Elle est fraîche, elle semble vivante. Je me baisse jusqu'au pot qui la contient. Je frôle la terre qui la maintient. Elle ne parait pas sèche. Quelqu'un a dû l'arroser avant mon arrivée.

C'est une vraie.
Merde.

Je me surprends à m'inquiéter de telles choses. Elle me tiendra compagnie, ici, quand je me sentirai seul. Elle me rappellera les collines quand j'aurai envie de crier.

J'ai envie de crier, mais la plante de ne me rappelle pas les collines. Je me sens seul, mais elle ne me tient pas compagnie, ici.

J'ai besoin d'air.

Je troque ma chemise contre quelque chose de plus confortable. Je capture mon téléphone dans mes mains et tape le numéro de Gisèlde, la femme de ménage, qui me fut donné plus tôt.

La femme me répond dans les quelques tonalités qui suivent mon appel. Je m'enquière d'où se trouve Estée, à quoi elle me répond que ma femme est sortie il y a peu. Je la remercie après qu'elle m'est avertie que la bouteille de whisky et le verre commandé plus tôt se trouvent certainement encore derrière la porte.

J'enfile des chaussures et ouvre l'accès au couloir en douceur, déplaçant les récipients sans les faire tomber.

Je ne prends pas la peine de les ramasser.

J'accélère mes pas et dévale les escaliers. À cet instant précis, je sais ce que je veux faire, où je veux aller.

Je m'empare de mes clés de voiture, posées dans l'entrée. Je referme rapidement la porte d'entrée derrière moi, je cours sur les marches du perron et dépasse le portail. Je tourne sur les graviers pour rejoindre mon auto.

Je mets le contact et démarre. Ma destination n'est pas si éloignée que ça, mais j'ai l'impression que la route dure des heures interminables.

Quand j'arrive devant le Milk on the Hill d'Osis, je souris comme si rien n'avait changé dans ma vie, comme si j'allais bien.

Nous échangeons des banalités, je n'ai pas envie de m'étendre sur sa vie, ni sur la mienne, alors je l'arrête après qu'il m'ait confirmé qu'il allait bien en lui disant que je suis pressé. Il me laisse partir sans problème, me faisant part d'une invitation à boire un verre ensemble, un de ces quatre.

J'accepte d'un signe de tête avant de sortir du bar.

Je continue mon chemin à pied. Je n'ai pas besoin de voiture, là où je vais.

Quelque vingt minutes plus tard, me voilà arrivé.

Au bord de la colline, je m'assieds sur mon banc. Ma respiration se fait plus régulière, plus saine, moins nocive. Je pensais mourir étouffé par moi-même, j'attendrais, dirait-on.

Bien que seul, je me sens en confiance ici. Ma seule présence suffit à me satisfaire. Toutes les choses que j'aurais voulu dire depuis ces derniers jours sortent naturellement ici.

- Elle est belle... Je regrette de ne pas pouvoir lui parler. Je regrette de ne pas réussir à ouvrir la bouche quand je la sais proche. Je regrette d'être un idiot. Je regrette de laisser passer toutes les occasions de lui dire, que c'est moi. Je regrette... Je ne sais même plus ce que je regrette tant je regrette de choses.

Parler à ce paysage a toujours été comme me confier à mon journal intime. Je n'arrêterai jamais de venir ici quand ça ne va pas...

- J'adore me confier ici.

Je rigole un peu tristement.

- Moi aussi, j'adore, fait cette voix, celle que je voulais sortir de ma tête.

Je n'ai jamais fermé les yeuxWhere stories live. Discover now