Automne

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Il était 8 : 05 à sa montre lorsque la seconde sonnerie retentit. L'ordinateur portable allumé et posé devant elle, elle attendait les élèves prendre place. Elle ne dit rien, elle attendait tout simplement et patiemment. Généralement, cela prenait entre 5 et 10 minutes pour que la classe s'installe, finisse les discussions entamées et se mette à ressentir la lourdeur de son regard sur eux. Pourtant, il n'y avait rien de lourd dans son regard. Elle observait tout simplement. Chaque geste, chaque routine, qui s'asseyait avec qui... certaines choses changeaient parfois, d'autres non. Une dispute par ci, un nouveau couple par là. Cependant, les élèves finissaient tous par se taire à un moment en la regardant avec un air d'enfant pris en flagrant délit d'une pauvre bêtise. 

Le silence installé, Cleopatra commençait son cours : un mélange de littérature philosophique. Elle était censée remplacer leur professeur de français qui, après une crise de la cinquantaine et un burn-out, s'était octroyé des vacances à Bali, et finalement, après quelques mois, Cleopatra se retrouvait à enseigner plus longtemps que prévu sans avoir préparé quoi que ce soit. 'Et voilà, moi qui entamais un cours sur la poésie. Qu'est-ce que je pourrais leur dire qui ne sorte pas d'un vieux livre lu et relu ? Qu'est-ce qui pourrait les passionner ?', elle a pensé. « Qu'est-ce que la poésie ? », elle finit par demander. 'Peux faire mieux', elle s'est dit. Ce qu'elle adorait avec ses cours – et qui, très probablement, aurait scandalisé tout professeur légitime de français – c'était cette liberté qu'elle s'accordait à elle-même et à chacune des pensées de ses élèves, aussi différente qu'elle soit l'une de l'autre. 

Après deux heures de cours, la sonnerie finit par retentir annonçant la fin du cours et surtout, le début d'une mini-récréation de 15 minutes. La plupart s'empressait de ranger leurs affaires et de partir, les autres restaient pour discuter un moment et finissaient par s'en aller. Emma, elle, elle restait là, à attendre que tout le monde finisse par quitter la classe pour enfin venir lui parler. Emma Foley était une adolescente tout juste âgée de 15 ans. Elle était l'enfant unique d'une mère avocate et d'un père, chirurgien plastique. Contrairement à ses camarades, elle n'avait jamais cet air pressé qu'avait le reste. Il semblait toujours que personne ne l'attendait, ce qui était faux car elle avait pas mal d'amis ou du moins, ce que l'on considère comme 'amis' à 15 ans. Elle pouvait être considérée comme populaire bien qu'elle refusât toujours de se définir ainsi. 'Populaire' était devenu un mot à connotation péjorative pour elle comme si l'être voulait dire 'être un produit' de la masse et Emma était tout sauf un produit créé dans le seul but de plaire. Elle aspirait à plus.

« J'ai bien aimé le cours d'aujourd'hui », finit-elle par lancer. « Vos cours sont différents de ceux de l'ancien prof. Ils sont plus... intéressants. »

« 'Intéressants' ? »

« Vivants ! »

« Merci Emma. Ravie de voir que cela te plaît », dit Cleopatra en souriant et l'air un peu gênée.

« Vous pensez ce que vous avez dit quand on a dévié sur l'amour ? », elle demanda. Cela prit un moment à Cleopatra pour se rappeler cette partie du cours et il fallait l'admettre, elle ne s'en rappelait déjà plus très bien.

« Rafraîchis-moi la mémoire, veux-tu ? »

« Vous savez... que l'amour tout comme les émotions - la peur, la tristesse, etc. - ils donnaient vie à la poésie. »

« Oui, je vois. Je pense, effectivement, qu'ils donnent vie à la poésie d'une certaine manière. Les gens utilisent souvent l'art – l'écriture, la peinture, le cinéma, la musique, la sculpture et j'en passe – parce qu'ils ressentent les choses. J'ai toujours pensé que nous étions plus des êtres d'émotions que de raison. »

« Je vois. Mais si autant de personnes écrivent autant sur un même sujet – l'amour par exemple – comment peut-on être sûr qu'ils parlent bien de cela ? Il doit exister des millions de versions de ce qu'est l'amour, comment savoir laquelle dit la vérité ? »

Le bleu est aussi une couleur chaudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant