11 - Si loin du paradis (1er janvier 1981)

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Joëlle pouvait certifier que, lorsque l'on mourait, il n'y avait pas de long tunnel avec une lumière au bout. Il n'y avait que le vide et rien d'autre. Mais un vide prédateur qui avait du mal à lâcher ses proies. Elle sentait son cœur battre dans sa poitrine, donc elle avait réussi à lui échapper sans savoir par quel miracle cela avait été possible.

Elle se souvenait de la soirée du Nouvel An durant laquelle elle s'était dit qu'une nouvelle année n'était pas synonyme de nouveau départ. La vie suivait son cours, et ce jour-là plus particulièrement c'était encore plus déprimant de se dire que rien ne changerait. Ses démons ne s'étaient pas envolés avec la dernière page du calendrier 1980. Alors, elle avait voulu partir loin d'eux, loin de celle qu'elle était. Elle se rappellerait le carrelage froid et le liquide chaud qui coulait de ses poignets. Après ce n'avait été que des sensations. Elle s'était sentie soulever du sol, pensant que son esprit échappait à son corps, qu'il avait enfin compris qu'il fallait fuir plutôt que de rester. Et finalement, ça avait été que le silence et le noir absolu, jusqu'à ce qu'elle émerge de sa léthargie.

Derrière ses paupières qu'elle n'avait aucunement envie d'ouvrir de peur d'affronter son retour du pays des morts, elle se remémora ce qui l'avait conduit à vouloir en finir. Evy était sortie de sa vie depuis plusieurs mois. Leurs routes avaient fini par se séparer après que Jo se soit rendu compte que leur amitié était en fait à sens unique. Evelyne voulait qu'on l'admire et elle n'avait aucune empathie pour les autres. Depuis l'enfance, son père avait toujours cédé à tous ses caprices. Aussi celle qui se pensait rebelle avait gardé ses habitudes de princesse et Joëlle avait été le témoin de son manque de considération pour son prochain. Elle avait mis du temps à comprendre que tout ce que faisait Evy était pensé dans l'intérêt d'Evy. Après une dispute violente entre les deux femmes durant laquelle Jo avait entrepris de dire ses quatre vérités à son amie, cette dernière était partie. Elle avait disparu de la rue de la Soif et plus personne ne l'avait vu trainer dans les bars.

Du jour au lendemain, Jo s'était retrouvée à la rue. L'appartement où elle avait pris ses aises depuis presque quatre ans avait été reloué. Sans sa bienfaitrice, elle n'avait été plus rien. Son seul recours avait été de squatter à droite et à gauche chez les personnes qui voulaient bien la loger. Les femmes qu'elles pensaient être ses amies ne l'avaient pas gardé chez elles, car toutes avaient eu ce même réflexe de penser que la beauté de Joëlle pouvait être un danger pour elles. La comparaison et la jalousie étaient de terribles fléaux dans leur monde où sororité ne rimait pas avec générosité. De même que l'altruisme et le désintéressement n'avaient pas été la qualité principale des hommes qui avaient accepté de l'héberger, car bien souvent ses bons samaritains avaient demandé des compensations en nature. Elle avait essayé de s'en sortir sans répondre à leurs attentes, mais elle avait fini par céder, sans grande volonté, à certains d'entre eux.

Elle était ainsi devenue en peu de temps celle que les femmes aimaient détester, car elles voyaient en celle qui s'offrait aux hommes pour avoir un toit au-dessus de la tête, mais aussi celle que les hommes aimaient protéger pour s'attirer ses faveurs. Comment leur expliquer qu'elle n'était ni l'une ni l'autre ? Comment leur faire comprendre qu'ils ne lui avaient pas laissé d'autres choix que de faire de mauvais choix ? Ce monde était impitoyable et personne ne savait quoi faire de cette fille délurée, finalement plutôt encombrante et sans intérêt sans son amie friquée.

C'était déjà trop tard. Sa réputation était faite. Les femmes avaient eu rapidement une opinion sévère concernant Joëlle. Elle avait protesté en leur disant qu'elle n'avait jamais offert son corps pour ne pas être à la rue, mais qu'elle avait plutôt subi des abus. Elle avait eu beau leur expliquer que les hommes chez qui elle pouvait squatter n'étaient que des bêtes avides de sexe qui avaient vu en elle une proie facile à attraper. Rien n'y avait fait. Elle avait été accusée avant d'être jugée et personne n'était jamais allé demander des comptes aux mecs qui l'avaient possédée. Ces salauds avaient même participé à sa mauvaise réputation en se vantant parfois de succès fictifs. Ils n'avaient pas tous été des vicelards avec elle, même si la plupart d'entre eux ne s'étaient pas rendu compte de l'impétuosité de leur attitude. Bien souvent, ils s'étaient entichés d'elle et quelquefois ils étaient même tombés amoureux, ou avaient cru l'être. Mais à la finale, ils l'avaient utilisée, tout comme on l'avait déjà utilisé à Concarneau des années plus tôt. Rien n'avait changé pour Joëlle. Les hommes étaient lâches et les femmes étaient méchantes.

Should I stay or Should I goTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang