7. ... Et à la gare, on picole

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Séléné

Perdue dans mes pensées, je déambule à travers le hall de la gare, ou plutôt je flotte, devrais-je dire tellement je me sens légère. Je suis sur un petit nuage après cette journée passée avec Aurèle. Au-delà du fait que nous avons bouclé cet exposé et que je n'ai aucun doute quant à notre réussite la semaine prochaine, notre baiser a fait chavirer mes sens et de savoir que cela n'implique aucun engagement entre nous me procure un certain plaisir. Pas de souci à se faire sur l'évolution de notre relation, inutile de s'imposer des règles et de se fixer des limites. Affranchis de ces barrières, nous n'avons qu'à profiter l'un de l'autre, sans prise de tête, au gré de nos envies.

— Mademoiselle Desjardins ?

Mon prof apparaît subitement dans mon champ de vision, le sourire aux lèvres.

— Oh, monsieur Conti.

— Vous vous sentez mieux depuis ce matin ?

Quoi ? Qu'est-ce qu'il me raconte ? Je suis en pleine forme !

Je réfléchis un bref instant. Et soudain, la lumière fut. Oh punaise, si ! Quand j'ai dû quitter le cours pour faire redescendre la température. Malheur, ce n'est pas possible ça. Pourquoi faut-il toujours que je me retrouve dans des situations saugrenues ? Bien entendu, je ne peux rien lui dévoiler de cette histoire, déjà assez gênante comme ça, et je n'ai d'autre choix que de lui mentir. Un petit mensonge de rien du tout pour me sauver la face.

— Euh oui, merci, bafouillé-je. J'ai dû attraper un virus pas bien méchant, c'est la saison.

Un virus, mais bien sûr...

À ce moment-là, la voix d'un agent de la SNCF annonce qu'un incident les contraint à supprimer plusieurs trains, dont le nôtre, et le prochain ne partira qu'à vingt heures trente. La grogne s'élève sur le quai. Épuisée par ma semaine et le boulot abattu, j'explose de rage à la suite de cette énième contrariété.

— Merde, c'est pas possible ça ! Il y a toujours des problèmes sur cette putain de ligne ! Prenez les transports en commun qu'on nous rabâche sans cesse ! Qu'ils aillent bien tous se faire mettre ouais !

Je sens plusieurs regards désapprobateurs sur moi. Je lèverais bien mon majeur dans leur direction pour leur signifier que je les emmerde, toutefois ma bonne éducation me retient. Un agent s'approche de moi et, même si je me doute que ce n'est pas de sa faute à lui en particulier, je n'ai nullement besoin d'entendre ses explications. S'il pouvait donc me lâcher la grappe, histoire que je ne me tape pas l'affiche une nouvelle fois, ça serait cool !

— Calmez-vous, nous allons trouver...

— Que je me calme ? C'est une blague, c'est ça ?

— Mademoiselle, s'il vous plaît, je vous le redemande...

— Oh, ça suffit à la fin ! Foutez-moi la paix et allez voir ailleurs si j'y suis !

Bon... Pour la discrétion, on reviendra. Une fois de plus, c'est mon impulsivité qui a pris le dessus. Peut-être, un peu la fatigue aussi, ceci dit. Habituellement, j'arrive à tempérer mes émotions, mais, ce coup-ci, c'est raté pour l'introspection. Je m'accroupis au sol, guettant les larmes de rage à venir, le coude en appui sur le genou, une main sous le menton pour soutenir ma tête. On croirait Le Penseur de Rodin. Enfin dans une version wish, mais qui reste tout de même plus classe qu'une PLS sur un quai de gare bitumé. Je me concentre sur ma respiration pour apaiser ma fureur, jusqu'à ce que quelqu'un me frôle l'épaule.

— Mademoiselle Desjardins, ce n'est qu'un malheureux contretemps, rien de plus.

— Et merde... juré-je entre mes dents avant de me relever. Pardon, monsieur Conti, je suis désolée, je crois que je suis à bout.

Et la Lune s'éprit du Soleil (Roman)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant