La Reine de Trèfle (Romantasy)

Chapitre 19 - La Chenille à pipe de Tante Imogène

"Isopée ?" s'étonne sincèrement Alexandre.

J'acquiesce gravement. La gouvernante a toujours pris soin de moi avec une douceur et une gentillesse remarquable depuis mon arrivée. Jamais je n'aurais imaginé qu'elle puisse connaître ma véritable identité. Pourtant, avec du recul, il était évident que si Alexandre, qui ne côtoyait pas beaucoup Regina, a pu démasquer la supercherie, Isopée qui la fréquentait tous les jours s'en serait aperçue.

La Reine Judith a formé un duo d'enquêteurs surprenants avec ces deux-là.

"D'après eux, Regina complote avec des terroristes, elle projetait un attentat contre les Atouts. Judith a découvert ses desseins et a tenté de la capturer, mais la Reine de Trèfle s'est échappée. Ils ont donc décidé de me récupérer sur l'Île pour que je maintienne l'illusion suffisamment longtemps pour leur permettre de la retrouver et de la livrer à Judith. Madoc n'est pas au courant, il pense que la Reine de Coeur est juste inquiète pour sa petite sœur. Seuls Etienne et Isopée sont informés du plan".

Alexandre arque le sourcil avec scepticisme, ses bras croisés et sa moue pincée m'indiquent clairement son manque de conviction envers mon récit.

"Vous ne trouvez pas tout cela étrange ?" questionne-t-il.

Assise sur son lit, je lui rapporte notre conversation tandis qu'il reste loin de moi, dans une posture fermée et prudente.

"Pourquoi ?"

"Si Regina était si dangereuse, pourquoi ne pas faire appel aux Atouts directement ou aux autres souverains plutôt qu'à une Joker clandestine, un Valet et une gouvernante ?

"Je vous demande pardon ?", je réplique, sentant la colère monter en moi. "En quoi serions-nous moins efficaces que les Atouts ? Nous sommes intégrés dans le palais, nous pouvons fouiller, écouter, explorer. Je trouve, au contraire, que nous formons un trio prometteur".

"Vous n'êtes pas un trio, Soanne. Ils agissent à deux, en se servant de vous".

Ma mâchoire se contracte de colère contenue.

"Pour me protéger, Alexandre", je réplique d'un ton ferme. "C'est d'ailleurs probablement pour cette raison qu'Etienne a souhaité que nous fassions équipe, il a tout fait pour que vous et moi soyons alliés. Je pense qu'il cherchait à s'assurer que nous veillerions l'un sur l'autre".

Il m'étudie, perdu dans ses réflexions.

"Pourquoi Judith n'en a-t-elle parlé à personne ?" reprend-il après un long silence. "Pourquoi ne rien dire sur la disparition de Regina et ce dont elle l'accuse ? Elle aurait dû réunir les souverains, mettre en place un procès objectif et équitable plutôt que de chercher à appliquer sa propre justice, vous ne pensez pas ?"

Nous manquons d'éléments pour comprendre l'ordre des événements. Au fond, les interrogations d'Alexandre me semblent tout à fait légitimes. Mais nous ne savons pas tout, la Reine de Coeur a probablement ses raisons.

"Peut-être", je concède. "Mais j'ai confiance en Etienne et Isopée, s'ils croient ce qu'avance Judith Hart, alors je décide de le faire aussi."

Ses bras se délassent, il appose ses mains d'une part et d'autres de son corps, contre le rebord du bureau sur lequel il s'est adossé. Ses yeux se posent sur moi, ils me semblent plus distants et froids qu'auparavant.

"Pas moi", assène-il sans émotion.

Ses paroles me heurtent de plein fouet.

"Pardon ?", je laisse échapper, incrédule.

Je me lève du lit, pointant un doigt accusateur contre son torse rigide.

"Vous préférez faire confiance à votre femme, c'est ça ?", je l'interroge. "Celle que vous n'aimez même pas ?"