Épilogue

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Louis Serra était connu pour être un homme intransigeant, même dans sa vie privée, qui prenait à peine le temps de se rendre à la galerie des Chandelles pour assister aux repas, et éviter de mourir de faim. Il avait délaissé depuis des années l'art subtil de la cuisine.

Alors à présent qu'il observait le gâteau au chocolat qu'il avait tenté de préparer pour Mathieu, il songea que dès qu'il ne s'agissait pas de subvenir à son appétit par la chasse ou par les repas préparés par l'école, il était aussi démuni qu'un enfant face à une casserole vide.

À ses côtés, Robin et Julius le taquinaient gentiment.

– Je suis sûr que ton fils n'est pas plus doué en cuisine que toi, et puis il y a des bougies, on reconnaît bien que c'est pour un anniversaire, fit remarquer le colosse.

– Hélas, tu vas devoir retirer les bougies, Emma m'a confié que Mathieu les détestait étant enfant, parce qu'elle lui rappelait qu'il était trop jeune pour faire ce qu'il voulait.

– Il a quatorze ans, il est Apprenti, il est assez grand à présent, non ? se désespéra Louis en fixant les bougies qui étaient les seuls éléments de sa prestation culinaire qui permettaient de rappeler qu'il n'avait pas juste une masse informe qui ressemblait vaguement à de la terre devant lui.

– Tu sais, tu lui as sauvé la vie, mais moi à sa place j'aurai peur de perdre le goût en prenant une part de ton gâteau, renchérit Robin.

– Vous êtes insupportables, maugréa Louis en passant une main dans ses cheveux gris.

– Toi aussi, fit remarquer Armance. Mathieu fête son anniversaire avec les Hidalf jusqu'à minuit, et ensuite il viendra, au lieu d'assister à l'anniversaire du roi.

– Tu sais que le Grand Busier va me demander une explication sur mon absence ET celle de Mathieu à son anniversaire, râla le Cœur noir, qu'est-ce que je suis censé lui dire ?

– Que Mathieu est son petit-fils par lien de cœur, et qu'il fêtait son anniversaire auprès de ses deuxièmes parents.

Elle retira de sa luide une petite poussière, avant de le dévisager avec sévérité face aux tâches brunâtres sur son vêtement, avisant ensuite le triste gâteau.

– Si cela peut te rassurer, je suis sûre qu'il ne s'empoisonnera pas en le mangeant, affirma-t-elle. Il aura sans doute mangé bien assez à sa faim auprès de sa famille.

– Je vois mieux d'où Mathieu peut tenir son humeur, maugréa l'ancien Élitien.

Derrière lui, sur le bureau d'Armance, deux petits cadeaux attendaient d'être ouverts. Ils n'avaient même pas pris la peine de se concerter sur quoi offrir à Mathieu, même si leurs deux amis savaient pertinemment que ces cadeaux avaient été murement réfléchis, analysés, et que Louis avait certainement hésité plusieurs fois avant de savoir quoi proposer à son fils.

Si bien que lorsqu'on toqua à la porte, les deux Élitiens s'éclipsèrent directement en laissant la place à Mathieu, dont les yeux noirs brillaient d'une arrogance sans nom.

– Je vous préviens tout de suite, je n'aime pas le thé, avertit-il auprès d'Armance d'un ton un peu sec.

– Il y a du chocolat chaud dans la théière, et du jus de poires dans la cruche, signala-t-elle comme si Mathieu lui avait demandé poliment de quoi boire.

Louis observa l'adolescent, se demandant encore comment Mathieu avait pu autant grandir ces derniers mois. Il l'avait pourtant croisé au détour d'un couloir la veille, mais il lui trouvait les traits un peu plus anguleux, un peu moins enfantins, même si son regard débordait d'une impatience qui trahissait son esprit encore juvénile. Trois branches dorées s'étaient ajoutées à son arbre doré depuis le jour où ils avaient tous appris leurs liens de sang, et il n'avait pas d'épreuves pour le moment. Il était encore loin de pouvoir devenir Pré-Élitien, mais il était un Apprenti plus assidu, malgré sa témérité et son arrogance sans bornes.

Il accorda un sourire moqueur au pauvre gâteau de Louis, tout en s'en servant une part sans demander l'avis de ses deux parents, le mangeant un peu difficilement à cause de la texture bien trop dure, même s'il assura que c'était acceptable pour cette année.

Le moment d'offrir les cadeaux ne tarda pas, et après un échange de regard, Armance commença la première, offrant à Mathieu un paquet rouge, dont il s'empara avec méfiance.

– Si c'est la constitution des Élitiens, je la range dans la bibliothèque de l'école, avertit-il.

– J'aimerai être convaincue que tu l'as lue au moins une fois, soupira la directrice de l'école, mais ce n'est pas ça.

Mathieu ouvrit précautionneusement le cadeau, et son visage s'éclaira en voyant entre ses mains un ouvrage entier sur tout ce que les Élitiens avaient pu apprendre au sujet des Hélios au cours de l'existence de l'Élite.

– Ce n'est sans doute pas complet, et Barjaut Magimel aurait pu mieux te renseigner, mais puisque tu semblait déçu ne pas voir d'Hélios au banquet des trois Hélios, j'ai pensé que cela pourrait t'intéresser.

– Il faudra que je le monte à Jurençon, si ça se trouve ça l'aidera ! Je parie qu'avec ça, il pourra avoir des pouvoirs magiques incroyables, et il pourra nous les apprendre ensuite.

Louis n'était pas convaincu que ce soit possible, mais l'Apprenti semblait fasciné par son livre, si bien que lui-même se demanda si son propre cadeau lui plairait.

Lorsque son fils se tourna vers lui, Louis eut l'impression soudaine de se retrouver face à un Estaffes, sur le point de risquer sa vie. Il croyait avoir un poids sur ses épaules, et il donna à l'adolescent un paquet bleu, le cœur battant.

Quand Mathieu sortit de la boîte un exemplaire unique des contes de la grand-mère édentée interdits aux enfants de tout âge, le Cœur noir sentit le regard perçant d'Armance lui adresser un reproche, mais le silence de son fils lui semblait déjà en être un.

– Je... Je peux essayer de te trouver autre chose, si tu préfères, amorça Louis.

– Comment vous avez fait pour les obtenir ?! s'écria Mathieu, fou de joie.

Avec un sourire rassuré, l'ancien Élitien lui expliqua être passé par Octave Jurençon pour s'adresser à la grand-mère édentée, et avoir peut-être été un peu cassant en lui rappelant que Mathieu méritait bien une compensation pour avoir été endormi pendant neuf mois, et que des histoires rares seraient certainement un bon cadeau pour lui. Il ne s'était pas attendu à recevoir entre ses mains un recueil unique de contes normalement réservé aux adultes, mais au vu du regard pétillant du demi-Hélios à ce moment-là, lui-même avec lu ces récits et savait que Mathieu les apprécierait à sa juste valeur.

– Comment vous avez su que j'aimais ces contes ?!

– D'une part, tu avais admis être admiratif envers la grand-mère édentée, commença Louis, et d'autre part j'ai vu ta chambre. Donc j'ai eu le loisir de voir les multiples livres de contes éparpillés un peu partout, tu devrais prendre plus soin de tes affaires d'ailleurs.

Mathieu ne parut pas écouter sa deuxième, feuilletant déjà le livre avec un air impatient, avant de paraître un peu hésitant.

– Quand c'est mon anniversaire, il faut me lire un conte. Ma mère le fait toujours, mais ce sont des histoires d'Hélios qui tombent amoureux, et même si je sais que ça existe, maintenant, je préfère quand il y a de l'action, donc...

Il laissa sa phrase en suspens, et Louis échangea un regard attendri avec Armance, alors qu'ils partaient tous les trois s'installer sur le large canapé de la pièce, Mathieu au centre, Louis à sa gauche et Armance à sa droite.

– J'imagine qu'on devrait trouver un conte avec de l'action dans des histoires interdites aux enfants, supposa l'ancien capitaine de l'Élite.

Une heure plus tard, les trois étaient assoupis, avec des sourires paisibles sur le visage, et Mathieu songea pendant son sommeil qu'il était heureux d'avoir deux familles aussi fantastiques l'une que l'autre. Et qu'il faisait partie des deux, aussi bien par les quelques parchemins attestant de sa naissance et de son adoption, que grâce au contrat de mariage signé par Juliette d'Or et Tristan, qui reliait ses deux familles.

Il pouvait avoir un père et une mère.

Et un papa et une maman.

Par les liens du parcheminWhere stories live. Discover now