ÉPILOGUE

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La nuit succédait à la pluie. Les dernières gouttes s'écrasaient sur le sol gravillonné du cimetière, rebondissant sur les pierres tombales. Elles coulaient depuis les épaules voûtées d'un homme venu se recueillir auprès d'une sépulture. Ses cheveux étaient dégoulinants, ses vêtements imbibés, son visage détrempé. Mais la pluie n'en était pas la seule responsable. Il pleurait ; en silence ; depuis des heures.

Depuis des heures il se tenait debout, immobile, les poings serrés, frémissants, les lèvres tremblantes. Depuis des heures il regardait une tombe grisâtre aussi luisante et réfléchissante que du verre. Son visage s'y reflétait. Il arborait une longue cicatrice encore très rouge par endroits. La blessure était récente. Elle partait du front et traversait le visage en coupant l'œil droit, une petite partie du nez et les lèvres. Son œil droit à la pupille écarlate était couvert d'un voile blanc. Quelques taches de sang séché parsemaient son visage, couvraient ses mains, tachaient les manches de son manteau et maculaient ses bottes.

De temps à autre, une larme, aussi brillante qu'un rubis, coulait le long de la cicatrice, ruisselait dans cette crevasse et se perdait parmi les gouttes de pluie. Tout ce sang n'était pas que le sien. Le sang qu'il avait sur les mains était celui du meurtrier de son bien-aimé. Il avait souffert. Et si une vie au-delà de la mort existait, il continuerait à souffrir. Il y veillerait.

Cet assassin n'avait pas de tombe, jamais il n'en aurait. Il n'avait pas simplement été tué ; il avait été détruit, corps et âme, son esprit, annihilés de la surface de la Terre.

La haine entachait l'âme de l'homme comme le sang son visage. Sa soif de vengeance ne se tarissait pas. Sa colère et sa rage grandissaient à chaque seconde. Mais elles n'étaient rien à côté de son chagrin. Sa tristesse lui avait ôté le moindre soupçon de vie. Cette tristesse le fit tomber à genoux. Et pour la première fois, Hector ne se releva pas.

Il pleura, hoqueta, trembla de tous ses membres, hurla son désespoir et sa douleur. Son corps était meurtri, son âme anéantie. Au loin, le tonnerre gronda. Un éclair zébra le ciel et la pluie redoubla d'intensité. Comme si les dieux et les éléments compatissaient devant ce spectacle. Levant les mains vers la voûte de nuages noirs, le sorcier hurla en laissant s'échapper de ses paumes un éclair noir d'une puissance destructrice. Un enchaînement de foudre crépita dans le ciel. Hector envoya toute la force de sa douleur dans le ciel, comme s'il cherchait à s'en débarrasser. Mais il s'épuisa. Bientôt, il s'écroula sur le marbre trempé, harassé. Son corps ne répondait plus. Son esprit en revanche fonctionnait. Trop bien. Il se redressa. La température avait chuté de façon anormale. Il regarda autour de lui. Il ne vit rien. Il n'y avait rien à voir. Rien. Sauf un visage, une recréation de son cerveau. Il voyait les traits d'Achille dans une traînée argentée.

- Hector, je suis là. Je le serai toujours.

Hector versa une larme en se souvenant de cette phrase. Le son de la voix d'Achille lui vrillait le crâne. L'image de son visage lui crevait l'œil valide. Il se plaqua les mains sur les oreilles et ferma les yeux. Il hurla et pleura longtemps. Au bout de plusieurs minutes, il s'effondra sur la sépulture. S'écrasant dessus, il semblait étreindre la tombe. À côté de son corps inconscient, flottait une nappe brillante.

- Je serai toujours là... murmura le fantôme d'Achille.

Hector Salazar : Mémoires D'un Auror Noir (Tome premier 1678-1715)Where stories live. Discover now