Chapitre 2

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Deimos faisait les cents pas dans le bureau de Némésis.

Devant la fougue du trentenaire, la sous-chef avait renvoyé tous les autres dans leurs chambres et convié Deimos dans son bureau.

L'Enfer était la seule chose que la rousse avait connu. Elle avait pour ainsi dire grandi ici alors que l'immeuble n'était rien de plus qu'une ruine. Son père faisait parti des têtes pensantes qui avaient développé l'idée de réunir tous les arts du crime en un seul et même bâtiment. Sa mère avait tenu les comptes pendant un temps tandis que son père gouvernait le building avec trois autres bâtisseurs. Il n'en restait plus qu'un désormais, les autres ayant tous été assassinés les uns après les autres, ses parents compris.

Némésis avait encore une sœur du nom de Vénus, sous-chef du second étage.

– Tu me files le vertige, grogna Némésis contre Deimos.

Le brun l'a regarda d'un air mauvais. Ses yeux ambrés paraissaient devenir noir de colère. Il avait envie d'exploser.

– Érèbe ? Tu te fous de ma gueule ? J'y crois pas, vosciféra le brun en s'arrêtant de marcher.

Il ne savait pas contre qui dirigeait sa rage. Deimos n'avait jamais caché son envie de grimper dans la hiérarchie et il était même jaloux de Markyle qui occupait la place de bras droit. Lui qui n'avait jamais rien su faire dans sa vie était devenu un tueur à gages et il se trouvait plutôt doué dans ce domaine. Jusque là, il aurait été prêt à faire n'importe quoi pour gagner du galon. N'importe quoi... sauf faire du mal à Érèbe.

– Ce n'est pas moi qui attribue ce type de mission, tu le sais très bien, se défenda la rousse en soupirant longuement.

Les enveloppes noires venaient directement du dixième étage. C'est tout en haut de la tour que s'était réfugié le dernier bâtisseur de l'Enfer. Il ne descendait jamais et même Némésis ne l'avait pas vu depuis des années. Mais ils savaient tous qu'il était bel et bien là et que c'est à lui qu'il fallait rendre des comptes si on trahissait l'organisation. Ceux qui sont montés au dixième ne sont jamais redescendus.

Et pourtant, à en croire ses calculs, Némésis savait que le grand chef frôlait quasiment les quatre-vingts ans.

– Si j'avais pu, je l'aurais confié à quelqu'un d'autre, Deimos, assura Némésis.

Ça aurait été pire pensa Deimos. Lui qui buvait à outrance pour chasser l'idée que son ami était mort au fond d'un fossé se retrouvait avec la mission de l'assassiner. Il ne pouvait décemment pas le digérer. Le trentenaire se disait qu'il aurait sans doute préféré continuer de croire que Érèbe était mort. C'était douloureux mais cela le faisait moins souffrir que de s'imaginer le tuer de ses mains.

On ne quitte pas l'Enfer, se rappelait Deimos.

– Je ne veux pas de cette mission, Némésis, supplia le brun en se rapprochant du bureau pour y poser ses mains.

– Mais tu n'as pas le choix. On ne refuse rien à l'Enfer, tu le sais, conclua Némésis en prenant une cigarette.

Deimos se rappelait de tous les documents qu'il avait dû signer en arrivant ici. Des pages et des pages remplis d'encre qu'il avait survolé. Il y avait les clauses du contrat, de sa rémunération, l'assurance en cas de problème et surtout, le règlement intérieur.

Le brun ne se souvenait pas du nombre de règles mais il y en avait pas mal mais il savait qu'elle était la toute première en haut de la liste « ne jamais dire non ». Qu'importe la mission qui tombe et son degré de cruauté, il ne fallait jamais refuser quoi que ce soit.

– Qui a mit ce contrat sur Érèbe ? Pourquoi ces stupides consignes ?, questionna Deimos en s'agaçant de plus en plus.

Némésis prit une bouffée sur sa clope puis une autre avant de l'écraser dans un cendrier en bois et replaça une mèche grise derrière son oreille.

La quinquagénaire n'avait aucune réponse à apporter à son subordonné. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'était pas senti aussi inutile. Elle avait prit ces gosses sous son aile et les avait couvé comme une mère pendant toutes ces années. Voir l'un de ces petits tourmenté de la sorte lui faisait mal mais elle ne pouvait rien faire contre ça.

Parfois, Némésis se disait qu'il était temps de raccrocher son tablier et de faire autre chose. Mais le règlement était le même pour elle que pour les autres.

– Je ne sais pas, répondit finalement Némésis en fixant un point invisible.

À ces mots, la colère de Deimos explosa. D'un geste brusque, il envoya valser au sol ce qui décorait le meuble. Un pot à crayons s'éparpilla sur la moquette couleur bordeaux et un cadre photo voltigea contre un mur, explosant le verre en mille morceaux.

– À quoi tu sers si tu ne sais rien ! cria le brun.

Némésis regarda la photo sur le sol. Il s'agissait de celle de ses deux enfants en compagnie de leur père, prise une belle journée d'été à la pêche. La sous-chef avait été contrainte de prendre la lourde décision de leur dire adieu. Ils étaient en sécurité loin d'elle, c'était tout ce qu'il comptait à ses yeux.

– À te botter le cul si tu dépasses les bornes, Deimos, répondit froidement la rousse en se levant de son fauteuil.

Penaud, le brun s'asseya mollement sur la chaise face au bureau et prit son visage entre ses mains. Il n'était pourtant pas du genre colérique. Son truc c'était plutôt de prendre les choses comme elles venaient et de les gérer comme il pouvait. Il avait tellement connu de merdes dans sa vie que plus rien ne semblait pouvoir l'atteindre.

Plus rien, jusqu'à aujourd'hui.

– Je suis désolé, Némésis, bredouilla le trentenaire.

La sous-chef savait par quoi il passait. Elle posa une main compatissante sur l'épaule de Deimos et serra gentiment son emprise. Malheureusement, dans ce cas de figure, elle était impuissante et ne pouvait rien faire pour l'aider.

– Ce n'est pas pour rien que l'on dit de ne pas se faire d'amis ici, répondit Némésis.

Néméis n'était pas bête. En dix ans, elle n'avait jamais vu Deimos se rapprochait de qui que ce soit hormis Érèbe. Pourtant, le fuyard n'était pas des plus faciles à vivre. S'ils avaient pu passer dix ans dans la même chambre sans s'entretuer, c'était pour une autre raison.

– Pourquoi il a fallu que ça tombe sur lui ? questionna Deimos.

La rousse ne savait pas le sens exacte de sa question. Pourquoi c'était lui qui devait mourir ? Pourquoi l'envie de fuir était tombée sur Érèbe ? Ou pourquoi fallait-il que ce soit avec lui qu'il soit ami ? Dans tous les cas, elle n'avait pas la réponse.

– File te préparer, Deimos. Il faut que tu te mettes en condition. Tu pars ce soir, déclara Némésis en se retournant ouvrir la porte.

Le Septième cercle Where stories live. Discover now