Sea, sex and sun (1/2)

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Antibes.

Son soleil, sa mer scintillante, ses ruelles colorées, ses touristes émerveillées.

Antibes et son port de plaisance, ses restaurants italiens, ses artisans passionnés.

Antibes, la ville où on m'a obligé à prendre des vacances.

C'est Yanis qui a abordé le sujet en premier. Il est venu me trouver à la fin d'un tournage, alors que le petit gars que je venais de défoncer peinait à reprendre ses esprits. Faut que tu prennes des vacances, Issa, m'a-t-il dit. Et je lui ai répondu d'aller se faire enculer.

Ce qu'il s'est empressé de faire deux heures plus tard.

Mais là n'est pas le problème. Le problème, c'est que cette intervention de Yanis ne relevait pas d'une lubie personnelle, non, elle incarnait la préoccupation de la quasi-totalité du studio. Et le pire, c'est que je ne peux pas dire que je ne l'avais pas vu venir.

Ça a commencé il y a un an. Au début, je n'y ai pas prêté attention ; je ne ressentais qu'un vague malaise, une certaine mélancolie qui alourdissait mes membres et entravait mes pensées. Une baisse de moral, quoi. Puis ce mal-être a commencé à se diffuser dans chaque recoin de mon cerveau, grignotant ce qui s'y trouvait déjà avant de pernicieusement couler dans mon cœur. Et toute joie de vivre m'a déserté. Soudain, tout est devenu gris, fade, sans goût ni couleur. Mon métier que j'aimais tant m'a paru futile et vide de sens. Plus rien ne me faisait vibrer, j'avançais dans la vie avec un cœur creux et des yeux ternes.

Pourtant, tout me souriait : j'étais l'acteur le plus célèbre du studio, j'avais touché mon premier million le mois précédent et ma condition physique n'avait jamais été aussi optimale. Mais ça ne me suffisait pas. Avec horreur, je me suis rendu compte que je faisais partie de ces personnes que la vie a trop gâtées et qui n'y trouvent plus aucun intérêt. Comme si j'avais fini le jeu. Bonjour, merci d'avoir participé, à la prochaine. L'adolescent acharné que j'étais m'en aurait vomi sur les pieds.

J'ai voulu faire comme si de rien n'était. Aller à l'encontre de cette fatalité qui me pesait sur les épaules. Enchaîner les tournages. Empocher les dollars. Mais lorsque même le cul d'Ash Flex n'a pas réussi à me tirer un soupçon d'envie, j'ai compris que je n'allais vraiment pas bien. Parce que les gars du milieu le savent, si le cul d'Ash ne vous anéantit pas la cervelle, c'est que vous devez changer de métier.

Alors je suis parti en vacances. J'ai pris un short de bain, un appareil photo et je suis descendu au premier hôtel cinq étoiles trouvé sur internet. Et j'ai arpenté les rues, inlassablement, sans savoir où j'allais ni ce que je cherchais. Plusieurs fois, j'ai senti des regards insistants me coller au dos, j'ai surpris des sourires salaces et j'ai subi les avances de quelques mecs un peu trop entreprenants. Rien qui ne m'aurait dérangé il y a un an de cela. Tout ce qui me donnait envie de me racler la tête contre du crépi aujourd'hui.

Puis j'ai rencontré Nino. Je l'avais déjà aperçu à mon arrivée, assis pieds nus sur le quai, griffonnant je-ne-sais-quoi sur une feuille de papier. Il m'avait intrigué, ce petit gars à la peau brûlée par le soleil et aux longs cils noirs, capable de dessiner des heures durant en plein soleil. A force de me voir traîner dans le coin, il a fini par me remarquer et me suivre du regard tandis que je déambulais le long des yachts rutilants. Lorsque nos regards se sont croisés, il m'a souri et j'ai senti un truc se débloquer dans ma poitrine. Oh, presque rien, à peine un soubresaut, un frisson quasi imperceptible, mais un truc suffisant pour sortir mon cœur de sa torpeur et m'inciter à en savoir plus sur cet inconnu au sourire rectangulaire.

Alors nous avons commencé à parler. Et bien vite, il est devenu le repère incontournable de mes vacances. Chaque après-midi, lorsque j'ai fini de manger et que j'ai fait le tour du centre-ville, je me rends au port et cherche du regard une petite silhouette prostrée contre un mur ou un bollard, sur les remparts ou à l'ombre de la capitainerie. Puis je m'assois à ses côtés et observe sans m'en lasser la nature, les hommes et les navires qui défilent sur ses pages. Son talent est tel qu'il me laisse bouche bée, et pourtant, Nino se contente de crayonner sur le béton brûlant, sans autre ambition que le regard admiratif des passants, avec si peu d'argent qu'un trou béant baille au bout de ses baskets. Mais ça lui suffit. Et ça me consterne.

Bouquet d'idéesWhere stories live. Discover now