Chapitre 55 - Le pré des Asphodèles - partie 2

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Ils étaient dans un espace sale ne disposant que d'une vieille banquette insuffisamment grande pour tous les accueillir. Cérès s'écarta, surveillant les allées et venues des matelots et des mécaniciens. Aka avait réussi à trouver un tronc coupé qu'il tira jusqu'à un mur. Il s'y assit, s'adossa au mur et ferma ses yeux. Quant à Maddy, elle s'installa sur un coin de la banquette et fit mine de s'assoupir elle aussi. Sédah la rejoignit, respectant son besoin de silence. Quant à Osmane, il faisait des va-et-vient, l'air pensif. Aliénor faisait lentement le tour du bateau qui était en réparation. Ils étaient fourbus, ils sentaient mauvais et ils avaient peur. Lorsqu'Aliénor passa près d'Aka, il lui demanda :

— Est-ce que tu as pu voir ce qui s'est passé après notre départ Aliénor ?

— C'était le chaos. De très nombreux élèves gisaient ça et là, surtout à l'extérieur des bâtiments. Numa et Anna en faisaient partie. Georgios, Guadaloupé et Jackson également. Je crois que Georgios est mort. D'autres étaient très affaiblis, mais je crois qu'un certain nombre n'étaient qu'évanouis. La professeur Lunare a été arrêtée pour complicité d'évasion. L'école est dévastée. Elle a été terriblement secouée. Et vous êtes tous les quatre recherchés pour avoir illégalement invoqué les forces des ombres.

Aliénor releva la tête et regarda Sédah.

— Tu as tout détruit ! J'espère que tu es satisfaite ? lui lança-t-elle furieusement, lui infligeant la pire blessure de cette longue journée.

Puis Aliénor détourna son regard et se tut, satisfaite d'avoir réussi à déplacer sa colère sur Sédah.

— Georgios... mort... ce n'est pas possible...

Une sensation de froid l'envahit. Elle glissa presque aussitôt dans un songe. Il faisait brumeux, l'air était gris et fade, les sons ouatés, et de pauvres hères se pressaient sur un vieux ponton en bois noueux et torturé. Elle reconnut l'entrée du royaume des morts. Elle était dans le pré aux Asphodèles, près du palais de son père, le roi des morts. Et ces silhouettes désespérées étaient celles des âmes fraîchement arrivées, qui n'étaient plus que les pâles figures de ce qu'elles avaient été lorsqu'elles étaient vivantes. Elle reconnut l'une de ces âmes triste et grisâtre. Georgios était là, ou plutôt ce qui restait de lui. Il n'était plus que l'ombre de lui-même. Elle se précipita sur lui, lui attrapa le bras. Il la regarda, mais son regard était vide. Elle voulait lui parler, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Elle se mit à le secouer, mais il était sans réaction. Il recommença à avancer vers l'embarcadère où la barque du vieux Charon était amarrée. Le nautonier embarquait des défunts. Le plus grand nombre stagnait près de l'embarcadère, sans énergie. Elle ne put s'empêcher de ressentir une profonde compassion pour ces âmes pâles et sans vie. Elle attrapa la main de Georgios et le tira à contre-courant. Il se laissa faire. Elle lui attrapa le visage, se concentra et chercha à attraper son regard. Elle eut une idée, elle défit sa chemise, chercha la marque d'Umbra sur sa poitrine, et y apposa la main. Elle savait qu'il lui fallait l'enlever maintenant. Elle se concentra, sa main se mit à picoter et Georgios se mit à hurler. Sédah expurgeait l'ombre de Georgios le plus vite qu'elle le pouvait. Elle savait que le temps lui était compté. Elle entendit un puissant aboiement dans lequel elle reconnut trois tonalités distinctes, une pour chaque tête. Il s'agissait de Cerbère, dont l'odorat était triplement aiguisé. Elle avait entendu parler du fidèle compagnon de son père et bien que n'ayant aucune substance corporelle dans ce songe infernal, elle sut qu'il ne tarderait pas à se précipiter sur eux. Elle compartimenta donc son esprit pour se concentrer sur son œuvre. Elle sentait qu'elle y était presque, Georgios revenait à lui, son âme se réveillait, elle le voyait dans ses yeux. Sa douleur était insoutenable. Son âme pleurait tant elle était mise au supplice. Son cri déchirait le voile neutre et silencieux du pré aux Asphodèles. Elle entendit Cerbère qui accourait au loin, hurlant et déchirant l'atmosphère de ses crocs. Hadès avait-il senti sa présence ?

Sédah - La fille cachée d'Hadès - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant