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― Eh bah voilà, enfin un adversaire à ma taille ! grinça le gars aux cheveux rouge, ses yeux fous braqués sur la louve.

A ces mots, il sortit un briquet de sa poche et l'alluma d'un geste connaisseur. Il devait être habitué...

― Er... Erwan, tu... tu devrais pas... bégaya alors son voisin dont la peau était devenue presque aussi pâle que sa chevelure, à la vue du feu.

Je ne savais pas trop quoi en penser... Qu'est-ce qu'il voulait faire d'un briquet face à un loup ? La peur que je lisais sur les traits du blond me paraissait excessive, jusqu'à ce que je me rende compte que la flamme grandissait de manière anormale.

Je sentis Elya se crisper contre ma jambe et gronder de plus bel.

Elle me poussa sur le côté et passa devant moi, dans une position de défense.

Occupe-toi de la fille pendant que je m'occupe de ce taré ! fit la voix télépathique d'Elya dans mon esprit.

Comment il fait ça ? demandai-je de la même façon, tout en me décalant encore davantage sur le côté, dans l'optique de contourner la scène pour atteindre la pauvre fille qui ne bougeait plus .

La flamme grandissait encore et, à ma grande stupéfaction, se détacha du briquet pour former une boule au niveau du visage de cheveux-rouge, le regard brillant d'une satisfaction malsaine.

C'est un mage du feu ! cria Elya dans ma tête en esquivant la première attaque.

La boule de feu venait de passer à quelques centimètres d'elle, mais elle était rapide, et avait sauté sur le côté.

― On n-n'a pas le dr-droit, Erwan, bredouillait encore l'autre qui n'avait pas bougé. On... on va avoir des en-ennuis...

― T'es qu'une mauviette, Vincent ! Pour une fois qu'on peut vraiment s'amuser ! lui répondit son copain sans le regarder. Allez, viens, sale bête ! Ajouta-t-il en fixant toujours Elya.

Alors que je me trouvais maintenant tout prêt de la fille qui tremblait comme une feuille et qui n'avait toujours pas relevé la tête, je vis l'indécision dans le regard de la louve. Allait-elle sauter ? Allait-elle prendre le risque de blesser son adversaire ?

Une deuxième boule de feu fusa en direction du loup qui l'esquiva de nouveau.

Ils avaient commencé à tourner l'un en face de l'autre et se jaugeaient du regard silencieusement depuis quelques secondes, une boule de feu se formant de nouveau entre les mains du garçon, lorsque les arbres autour de nous se mirent soudain à vibrer bizarrement.

Il n'y avait pas de vent, pourtant. Pas même une petite brise. Rien.

Le bois se remplit d'un bruissement de feuilles qui allait en s'accentuant, des branches craquèrent, je ne me sentais vraiment pas tranquille, regardant anxieusement à droite et à gauche pour trouver l'origine de ce remue-ménage étrange. Mais je ne voyais rien.

Au bout d'un moment, la voix de Cheveux-rouge claqua comme un fouet, me faisant sursauter :

― Vincent ! Espèce d'idiot ! Arrête ça tout de suite !

― J-j-je peux p-p-pas, bégaya le pauvre garçon traité d'idiot. Tu... t-t-tu m'fais p-peur...

― Rah ! Le boulet ! rugit Erwan en se redressant rageusement. T'es qu'une fillette incapable de te contrôler !

Puis, se tournant vers le loup qui était resté immobile :

― Toi, tu perds rien pour attendre !

Puis vers moi :

― Et toi non plus, Barbie ! On s'reverra, crois-moi !

La Pauvre fille à côté de moi se remit à trembler de plus bel quand il s'adressa enfin à elle :

― Toi, mocheté, on se revoit au bahut !

Et, toujours un œil sur Elya pour être sûr qu'elle ne lui sauterait pas dessus au dernier moment, il s'éloigna, poussant devant lui le pauvre Vincent qui tenait à peine sur ses pieds.

La forêt s'était calmée. Comme par magie.

Mais... c'était de la magie...

L'autre était sûrement un mage contrôlant les plantes, m'expliqua Elya en s'approchant. Enfin, ayant du mal à les contrôler, plutôt.

Faisant pour le moment abstraction de ces éléments nouveaux, je pris enfin le temps d'observer la fille qui pleurait encore silencieusement.

Ses longs cheveux noirs et crépus étaient tout emmêlés. Je lui mis doucement une mèche derrière son oreille pour voir son visage café au lait mouillé de larmes et ses yeux marrons brouillés.

Elle était plus jeune que moi. Peut-être 14 ou 15 ans ?

― Hey, dis-je doucement pour la réconforter. C'est fini maintenant. Il est parti. Comment tu t'appelles ?

Elle renifla un coup en passant sa manche contre son visage, et hoqueta :

― Laïla. Je... je ne veux p-plus y aller...

― A ton bahut ? devinai-je.

Elle hocha la tête.

― Tu devrais en parler à tes parents, à des adultes, qui pourraient t'aider, lui murmurai-je encore. Il n'a pas le droit de te traiter comme ça. Tu sais ?

Elle poussa un long soupir entrecoupé de quelques sanglots encore.

― C'est pas ça le problème... répondit-elle dans un souffle presque inaudible.

- Bien sûr que c'est un problème ! Allez, Laïla, Viens. Tu habites loin ?

Elle se leva enfin et me fit signe que non. Elle voulut continuer toute seule, mais j'insistai pour la raccompagner jusqu'à sa maison. Avec ce fou d'Erwan, on pouvait s'attendre à tout !

Elya nous suivait sous sa forme de chat, plus discrète, sans que Laïla ne s'en rende compte, encore sous le choc.

Lorsqu'elle s'arrêta devant une des maisons d'un des quartiers résidentiels de la ville, quelques centaines de mètres plus loin, je compris qu'on était arrivées.

Elle se tourna vers moi et me remercia du bout des lèvres, gênée.

Avant qu'elle ne fasse demi-tour et ne disparaisse, je lui demandai :

― Ce gars.... Le feu... Est-ce que toi aussi tu es... ?

― Non. Je ne suis rien du tout. Rien. Rien du tout... répéta-t-elle plusieurs fois, comme une plainte douloureuse.

J'allais lui en demander plus, mais elle se retourna vivement pour cacher les larmes qui s'étaient remises à couleur, et courut jusqu'à la maison. Une femme l'attendait. Elles se ressemblait beaucoup, ça devait être sa mère.

― Laïla, ma chérie ! entendis-je de loin. Qu'est-ce qu'il s'est passé, encore ?

Elle la serra tendrement dans ses bras, puis elles entrèrent sans un autre regard pour moi.

Toujours accompagnée de Elya-chat, je m'en retournai chez moi, lasse.

J'avais plein de questions. Trop de nouveautés en si peu de temps. Mais toute cette tension m'avait donné mal à la tête. Ça attendrait bien le lendemain.

BLEU océan (tome 1)Where stories live. Discover now