43

24 3 2
                                    

Mon père, concentré sur la recherche mentale de la Suvrana, eut un frisson en revenant à la réalité. Il fixa les colonnes d'hommes et de femmes couverts des armes de son peuple, qui avançaient effectivement sur leurs deux jambes, alors qu'ils n'étaient pas encore sortis de l'eau. Il ouvrit de grands yeux étonnés et souffla, incrédule :

― Ce n'est pas possible...

― La pleine lune ? demandai-je rapidement.

― Non. Même là, il faut être au sec pour perdre sa queue.

― Alors ?

Il secoua la tête de gauche à droite, les sourcils froncés, ne trouvant pas d'explication.

A ce moment, je sentis brusquement la pensée d'Elya me parvenir, puis disparaître, puis revenir, totalement confuse, dans laquelle se mêlaient... de la peur, de l'agacement, mon prénom...

Je me retournai et vis avec stupeur le gros goéland s'approcher de nous en volant dans le ciel, disparaître, puis réapparaitre plus bas, puis disparaître de nouveau et réapparaitre à quelques centimètres au-dessus de moi, sous forme d'écureuil qui dégringolait dans le vide.

Je l'attrapai au vol et serrai contre moi le petit animal roux tout tremblant. Sa voix soulagée me parvint plus claire :

Merci... Je déteste la pleine lune... Le contrôle est vraiment pitoyable... !

La gardant dans ma main pour qu'elle puisse voir ce qu'il se passait, je me tournai de nouveau vers la plage couverte par l'armée. La première rangée arrivait bientôt au milieu de la bande de sable.

Soudain, un son. Une note tenue, loin et proche à la fois. En même temps aigue et grave, douce et perçante... Je n'avais jamais entendu de son pareil. Mon corps se glaça comme gelé, froid, frissonnant, mais contre toute attente je me sentais plutôt bien. C'était magnifique et terrifiant.

Mon père prit violemment ma main, pour me faire revenir sur terre dans un dernier frisson. Il bafouillait :

― Elle n'a pas osé... ? Si c'est ce que je pense...

― Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je, encore sous le choc de ce son qui s'amplifiait dans la nuit jusque-là silencieuse.

― Je pensais que c'était une légende. Tout le monde le pensait depuis des siècles. Mais elle a réussi, regarde !

Je suivis son regard et vis, au loin, les maisons commencer à s'éclairer, les fenêtres s'ouvrir, les portes claquer. La ville, calme quelques secondes auparavant, semblait prendre soudain vie. Des personnes sortaient dans la rue et semblaient perdues, ou chercher quelque chose.

― Que font-ils ?

― Ils sont attirés par le chant...

― Les sirènes ? hoquetai-je, le souffle coupé par la réalité qui venait de se faire en moi.

― Le chant est hypnotique, oui. Il fonctionnerait essentiellement sur les hommes. Comment te sens-tu ?

― Je... ça va. C'était passager.

Dans les rues, en effet, des hommes erraient, d'autres commençaient à se diriger vers la plage, et les femmes criaient ou leur courraient après.

Elle a pensé à tout ! s'exlama Elya dans mes pensées. Et elle est loin d'être aussi faible que ce qu'affirmait la Mage de l'eau !

Il était vraiment temps de faire quelque chose !

― Je l'ai ! Attrattiva est là, je la tiens !

L'exclamation de mon père me fit sursauter violemment, tellement j'étais crispée.

Mon regard croisa ses yeux bleus. Je ne l'avais jamais vu aussi sérieux, aussi tendu, face à cette situation qui semblait devenir totalement incontrôlable.

Alors que de ma gorge sèche s'élevait une plainte presque inaudible devant le désastre qui était en train de se jouer devant mes yeux, principalement par ma faute, il serra ma main dans la sienne et me fixa quelques secondes avec intensité.

La lueur de désarroi que j'y avais lue quelques secondes plus tôt avait disparu. A la place, je vis et sentis la détermination.

Je la sentis dans sa main qui se resserrait sur la mienne.

Je la sentis au plus profond de moi, transmise mentalement.

― Il est temps de montrer vraiment ce dont tu es capable, Sarah.

Ses mots eurent un effet choc sur moi.

Tout doute et toute culpabilité s'envolèrent comme balayés par une vague puissante et électrisante.

― Quand tu es prête, rejoins-moi, continua mon père, sans lâcher ma main.

Comme lors de nos derniers entrainements, je fis le vide en moi, sans plus faire attention à l'armée qui progressait sur la plage ou le chaos qui régnait en ville. Je sentais tout proche l'esprit de mon père, qu'il arrivait à maintenir assez stable pour ne pas trop penser à ma mère, et je me joignis à lui pour que nous ne formions plus qu'une seule et même forteresse. Plus forte, plus épaisse. Plus puissante.

Puis je suivis la direction qu'il avait prise mentalement et reconnus à mon tour l'esprit de la Suvrana. Elle était restée dans l'océan, bien à l'abri des armes humaines auxquelles sont armée allait goûter, évidemment. Je rejetai le dégoût qu'elle m'inspirait, et cherchai, avec mon père, une faille dans la muraille qui se dressait pour protéger son esprit.

Sa voix retentit alors en moi. En nous.


------------------------------------------------------

Alors, d'après vous, est-ce qu'ils vont réussir à l'arrêter, à deux contre elle ?

J'espère que la suite de mon histoire vous plaît ! Le prochain chapitre promet d'être encore un peu mouvementé ! 

Une étoile, un commentaire, et je vous aime encore plus ! ^^

BLEU océan (tome 1)Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang