Chapitre XXIV

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Ilona Lazykwartz

  Mes yeux me piquent et je continue de bailler, ce qui commence à me faire mal à la mâchoire. D'habitude, je n'ai pas de difficulté pour dormir mais c'est différent. Je ne suis pas habitué à être aimanté à mon lit, scotché, impossible de me décrocher du matelas. C'est comme si ma chair était cousue. J'ai beau essayer de m'asseoir, je m'allonge aussitôt malgré moi. Je m'énerve toute seule dans ma propre chambre, j'ai l'air d'une cinglé. Je me roule en boule sur le côté et je rencontre, sans surprise, le carrelage. Au moins, ça me réveille et je réussi à me relever. Cependant, je grimace aussitôt que je pose mon pied sur le sol. J'avais oublié ce détail.
  Je parviens enfin à sortir de ma chambre, muni de mes béquilles et de mon magnifique visage de panda avec des cernes énormes. Il touche ces boutons à toute vitesse et il est si concentré. C'est peut-être la première fois que je le vois aussi sérieux et c'est grâce à un jeu vidéo que j'ai la chance de voir ça.
— Yes ! S'exclame-t-il après avoir gagné.
— Tu joues à quoi ?
  Il se retourne face à moi.  D'abord, il me regarde de manière curieuse. Il doit se demander d'où je sors, il n'a pas dû m'entendre arriver. Normal quand on est aussi concentré. Ensuite, le bout de sa lèvre se lève puis se baisse aussitôt.
— T'as un problème contre mon visage ? Rétorqué-je aussitôt.
— Non, non, s'efforce-t-il de dire pour ne pas laisser filer son rire. Mais…
  Il se tait mais sans discrétion. Je suis certaine qu'il cherche à dire une mauvaise blague mais il se retient. J'apprécie son effort, tout de même.
— T'as une sacré tronche, ce matin, murmure-t-il en douce. Aïe.
  J'affiche un sourire en coin alors qu'il masse sa côte pour se soulager mais il finit par lâcher un rictus avant de reprendre sa manettes.
  Je commence à m'ennuyer. Il ne fait que jouer, il est si concentré dans son jeu qu'on pourrait croire qu'il est à la place de son avatar, complètement dans son jeu.
— Je peux jouer ?
  Il loupe l'intersection et son véhicule percute un mur.
  Ce n'était pas l'effet que je voulais provoquer. Ce n'était même pas de la provocation d'ailleurs, seulement une demande. Il soupire. Je l'ai agacé. Je me triture les doigts, assez mal à l'aise. Je voulais seulement jouer.
— Oubli. Je dois me préparer, ça m'est sorti de la tête.
  Je ne me retourne pas, je fonce à toute vitesse dans ma chambre. Je ferme la porte et je soupire de gêne. Je n'ai rien à me mettre. Je n'ai pas envie de mettre un t-shirt. Je ne sais même pas combien il fait aujourd'hui, je n'ai pas pensé à regarder la météo et j'ai trop la flemme de le faire. Je vais rester comme d'habitude. Je prends mon pull noir, avec un papillon dans le dos et deux sur les manches. Après j'enfile un jean basique, sans motif, seulement bleu clair. Je prends mon téléphone et je sors de la chambre. Je fonce dans le vestibule mais la télé se coupe.
— Attends, je t'accompagne.
— Quoi ? Non, non, tu n'es pas obligé, paniqué-je.
  Je trébuche quand je le vois devant moi, déjà près à partir tandis que j'étais en équilibre sur un pied pour mettre mes baskets. Je lâche un profond soupir.
— D'accord, cédé-je. Tu peux venir.
  Il me tend son deuxième casque, mais je lui réponds en faisant des va-et-vient entre lui et ma nouvelle paire de jambes. Je cligne à peine des yeux qu'il me place le casque sur ma tête. Je ne peux même pas protester qu'il est déjà parti vers sa moto. Tout ce que je peux faire, c'est soupirer et le suivre sans trop rechigner.
— Accroche-toi.
— Tu radotes, murmuré-je.
  Je resserre mon étreinte en lâchant un cri aigu lorsqu'il accélère soudainement avant de se marrer. Je croise son regard souriant à travers le rétro. Je souffle dans le casque en me détournant de son regard vainqueur.
  Lorsqu'on arrive, j'enlève aussitôt le casque pour rencontrer l'air et respirer à plein poumon tandis que le vent caresse la sueur de ma nuque. Je craque mes doigts en maintenant mon corps par les coudes posé sur les béquilles quand soudain je l'entends pouffer. Alors je me tourne et il ne cache même pas son sourire de mongole, même si je dois bien avouer qu'une drôle de pensée vient se faufiler dans ma tête. Non, cet homme n'est pas beau quand il sourit.
  Ma mère m'a souvent répété que l'ignorance par le silence est la meilleure arme face à une personne qui se moque. Alors, j'enfile un air fière et trace ma route pour monter les marches qui mènent à l'entrée de l'hôpital. Je pose une béquille mais je déglutis aussitôt quand je pose la deuxième.
— Ça va être long, soupire-t-il en secouant sa tignasse.
— Pile ce que je pensais, chuchoté-je à moi-même.
Il s'avance pour venir à mes côtés seulement, je commence à paniquer à cause d'une sensation de déjà vu. J'arrête de marcher pour le regarder fixement.
— Tu ne vas pas me porter, hein ?
— J'ai le choix ? Demande-t-il sincèrement.
  Je penche la tête en arrière. Je n'aime pas être porté seulement, je pense à tout ce temps que je vais mettre si je monte les escaliers seules avec ces béquilles. Il regarde son téléphone, il n'a pas l'air pressé. Cependant, les escaliers deviennent de plus en plus insupportables dans mon esprit alors je me positionne en équilibre sur une jambe tandis que je réunis les jumelles dans une main.
— Vas-y, déclaré-je de façon dramatique en fermant les yeux avec mes bras tendus de chaque côté de mon corps. Je suis prête, porte moi.
  Je garde les yeux fermés mais je frissonne quand je sens son corps s'approcher du mien. Aussitôt j'étouffe ma respiration et je bloque mon ventre lorsque je sens sa peau sur la mienne, mon corps qui se rapproche du sien pour ensuite libérer tout mon poids sur le sien. Je serre mes bras autour de son cou lorsqu'il comme à gravir les marches.
— Hé, ne m'étrangle pas non plus.
  Sa voix me ramène à la réalité et j'ouvre les yeux, mon cœur s'arrête. Je ne m'attendais pas à être aussi proche de lui même si c'était plutôt prévisible mais mon imagination n'avait pas créé la scène comme ça. J'ai peur de respirer, par peur qu'il sente mon souffle sur sa peau. Je n'ai pas l'habitude qu'on me porte. Alors je respire enfin lorsque je retrouve la terre ferme.

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