Chapitre 14

947 48 25
                                    


   La Rotonde, carrefour Vavin, est l'un des restaurants parisiens préférés d'Emmanuel. A peine Gabriel y a t-il mit les pieds qu'il comprends pourquoi. Avec ses banquettes en velours rouge, sa lumière tamisée, ses nappes en tissus blanches assorties aux orchidées qui ornent les surfaces en hauteur, l'établissement ressemble à n'importe quel restaurant traditionnel français écumant les rues les plus touristiques de Paris. Or, ce serait ignorer les différentes peintures qui ornent les murs, témoignant du passé du lieu, qui fait sa popularité actuelle. Une atmosphère particulière règne ici. Les allées, la plupart étroites, ce sont celles qu'on emprunté avant nous Pablo Picasso, Charlie Chaplin, ou encore Guillaume Apollinaire. Gabriel s'y sent nostalgique d'un temps qu'il n'a pas connu, mais dont il en ressent l'énergie douce et créative, comme habité par les figures qui en ont fait leur repère.
Il y a déjà du monde quand il passe les portes de l'établissement, vers 20h30. Un brouhaha contrôlé inonde la pièce. Déjà, des petits groupes se sont formés un peu partout. Des serveurs habillés en chemise blanche et long tablier noir se faufilent entre les invités, proposant sur plateaux des coupes de champagne. Gabriel reconnaît des collègues de son parti attroupés près du buffet. Rassuré de voir des visages qu'il connaît, il décide de les rejoindre, gardant à l'esprit la volonté de réussir la mission qu'Emmanuel lui a confié. Il est là pour prendre la température, apaiser des tensions existantes concernant les campagnes des futures législatives qui devraient démarrer à la rentrée, renforcer ses relations professionnelles.
   — Monsieur Attal ! s'exclame Valérie — ses yeux s'illuminent — en apercevant Gabriel.
   Valérie, ça a toujours été la maman chez Renaissance. Bien qu'elle n'ai pas d'enfants, c'est un trait naturel chez elle. De par sa bienveillance déjà, dont elle fait preuve envers tout le monde, même ses plus coriaces adversaires — ce qui lui donne l'avantage de plus facilement déstabiliser ces derniers, qui ne savent rarement comment réagir face à sa générosité — , mais aussi par son caractère. Valérie Hayer sait se faire respecter. Quand elle entre dans une pièce, les bouches se ferment, et tous les yeux se tournent vers elle, attirés par sa lumière.
   Ambitieuse, diplomate, Gabriel a toujours pensé qu'elle ferait une excellente Présidente de la République — bien meilleure que lui d'ailleurs — quand Emmanuel aura terminé son mandat.
— Comment va notre cher Premier Ministre ? sourit-elle à Gabriel, passant son bras autour des épaules de ce dernier afin de l'inclure dans le groupe.
   Face à lui, Sylvain Maillard, un homme à la fois discret et imposant. Il parle peu, mais quand il parle, c'est toujours pour dire des choses intelligentes, si bien qu'une discussion avec lui peut rapidement révéler en vous un complexe d'infériorité intellectuelle jusque là refoulé.
   À ses côtés, et Gabriel le connaît bien puisqu'il s ont étudié au même lycée la même année, Hadrien Ghomi, ou Hadrien avec un H, comme l'appelait les professeurs à l'époque. Le clown de la classe, qui faisait marrer tous les copains et tomber amoureuse toutes les filles. Rôle qu'il n'a jamais quitté, aujourd'hui même dans les rangs de l'Assemblée Nationale. Hadrien, c'était le garçon populaire, dont tout le monde connaissait le nom et qui par miracle échappait aux maux de l'adolescence. Un garçon drôle, beau gosse, qui n'avait rien à envier aux autres.
— Gabriel ! Apparemment tu as disparu ! s'écrit-il, fidèle à lui-même, on a failli appeler les pompiers au cas où t'aurais claqué dans ton lit.
Valérie lui envoie son poing dans l'épaule, ne pouvant retenir un rire coupable.
— Laisse le tranquille !
Puis revenant à Gabriel :
— Non sérieux où est-ce que t'étais ?
Ce dernier hausse nonchalamment les épaules, ne sachant quoi répondre, et surtout pas la vérité.
   — J'avais des... soucis à régler. Rien d'important. Tout le monde est au courant à ce que je vois ?
   Ses trois collègues grimacent, soudainement embarrassés par la situation de leur camarade. Gabriel a sa réponse. Il prend conscience un peu plus chaque jour de sa lourde part de responsabilité en tant que Premier Ministre. Tout ce qu'il fait à ses conséquences, conséquences qui sont davantage amplifiées et qui sont à l'origine de rumeurs rapidement colportées entre les uns et les autres.
Il aurait bien besoin d'une coupe de champagne, là maintenant.
— Mais tu sais, ce n'est pas si grave, se rattrape Valérie, on est humain, on a tous nos moments compliqués...
   — J'imagine ouais... répond Gabriel sur un ton sarcastique, ce serait plus simple seulement si les infos ne se propageaient pas à la vitesse de la lumière.
Un silence encombrant s'installe subitement entre eux, les collègues de Gabriel ignorant comment réconforter ce dernier et culpabilisant d'avoir, chacun à leur échelle, prêté attention à ce qui n'était que des potins lorsque celui-ci était injoignable. Gabriel s'en fiche, en vérité, de qui a dit ou qui a écouté. Avec les réseaux, les médias, il en a vécu des pires.
— Sinon, ça se passe bien de ton côté ? On dit que tu passes beaucoup de temps à l'Elysée en ce moment ?
C'est Sylvain, sortant de son mutisme, qui a eu le courage de briser le silence, changeant volontairement de sujet. Gabriel lui lance un regard reconnaissant — à cette homme qu'il connaît à peine — le remerciant silencieusement pour son acte de solidarité.

La raison du plus fort (Bardella x Attal)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant