CHAPITRE 32

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Je me réveille en sursautant, le souffle court. Je plaque mes mains contre la peau moite de mon visage. Iwan, endormi le front enfoncé dans l'oreiller, papillonne des yeux tout en me scrutant. Je ne le distingue que difficilement, la vision rendue totalement floue par mes larmes. Je peine à reprendre ma respiration. Le châtain, prêt à se replonger dans un sommeil profond, tente de m'attirer contre lui, mais je me dérobe à son contact. Mon corps tout entier tremble. Depuis que j'ai raconté ce foutu souvenir à ma psy, je refais ce cauchemar en boucle. J'en bave désormais à contenir les sanglots de douleur qui secouent incontrôlablement ma poitrine. Je veux me réveiller, je veux me réveiller, je veux me réveiller. Je me répète cette phrase en boucle dans la tête pendant les minutes qui suivent, et j'ai l'impression que ça fait une éternité que j'ai cessé de respirer. Mes larmes strient mes joues rougies par la détresse. Je me lève en titubant, et me dirige vers la salle de bain de la maison de mon copain qui rêve sûrement dans son lit, en enlaçant le coussin que je lui ai placé dans les bras, en pensant me réconforter. Je tente les exercices de respiration que m'a appris Lucie, sans aucun succès. Je flippe, je veux pas me perdre de nouveau. Il me faut un point d'ancrage, et vite. J'essaie de nommer mentalement les objets présents dans mon champ de vision sans jamais y parvenir. Je me passe de l'eau sur la figure, et bien que je la sente glacée sur mes doigts, elle me semble bouillante dès qu'elle touche la peau de mon visage. Je suffoque, la crise de panique empire, si bien que je tombe presque. Je me rattrape in extremis au meuble blanc, qui m'aveugle sous la lumière. Je respire si fort que j'ai l'impression que je pourrais réveiller tout un tas de gens sur un kilomètre à la ronde. J'articule entre deux sanglots :

- Odin par pitié. Pitié. Je chuchote, ne souhaitant pas réveiller le garçon endormi dans la pièce voisine.

Je sais profondément que je suis la seule qui puisse m'aider à m'en sortir à l'heure actuelle, mais prier le Dieu Père a quelque chose de rassurant, et d'apaisant. Je sais qu'il m'entend, là-bas, sur Asgard, assis confortablement sur Hlidskjalf. Je le sais, et j'espère du plus profond de mon cœur qu'il entendra mon appel à l'aide, et qu'il m'envoie ne serait-ce qu'un signe qu'il me reçoit. N'y tenant plus, j'ouvre le tiroir avec une vitesse effrayante et en sort l'objet de torture. Je l'abats contre la peau de mon poignet qui fut meurtri par le passé. Je regrette déjà mon geste. Le contact de l'ustensile fait vibrer ma peau, me procurant une douleur amère que j'avais oubliée. Je lâche cette malédiction dans un mouvement de recul. J'ai peur. Non, je me fais peur. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que je me laisse submerger ? J'avais tenu ! J'avais tenu deux mois ! J'enroule un bandage, blanc au-dessus d'une compresse imbibée d'un désinféctant, autour de mon poignet endolori. Les larmes redoublent sous mes paupières. Elles ne sont toutefois plus uniquement des larmes de panique, mais également de regrets. Alors que je continue à prier sans relâche, les mains serrées de chaque côté de la vasque -blanche elle aussi- les bras tremblants, mon téléphone se met à vibrer.

J'extirpe l'appareil avec difficulté de la poche de mon short en lin, et chasse mes pleurs en pressant mes doigts contre mes paupières. Je m'empresse de décrocher.

- N-Nils ? Je prie pour que ce garçon soit le signe qu'Odin m'envoie.

- Liv ? Zouzou ? Qu'est-ce qui va pas ? Je perçois l'inquiétude dans la voix de mon meilleur ami.

- J'ai fait un cauchemar, je, j'arrive pas- je reprends mon souffle pendant une seconde. Je n'arrive pas à me calmer..

- Hum, d'accord. D'accord, alors, je vais te raconter ma journée pour te changer les idées, ça te va ? Hein, Liv ?

Je hoche la tête et lui exprime mon accord à voix basse, les yeux clos. J'écoute Nils me raconter tout le déroulement de sa journée. Je sais qu'il ne l'aurait pas autant détaillée habituellement, mais il sait ce qu'il fait, et j'aime cette attention qu'il a de s'attarder sur les détails joyeux de son récit. Mon rythme cardiaque s'apaise à mesure qu'il parle. Sa voix est douce. Je reprends peu à peu un souffle normal, ni trop lent, ni trop rapide. Les larmes, elles, ne s'arrêtent toujours pas. Je renifle plusieurs fois, mais mon meilleur ami ne s'arrête pas une fois pour me demander si tout va bien. Il sait ce qu'il doit faire, bien qu'il n'ait jamais eu à calmer la Liv en crise. Il s'en sort comme un chef. Mon cœur se comprime rien qu'à la pensée de ce qu'il doit faire pour moi, et un poids s'abat sur mes épaules.

Life Is Worth LivingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant