Chapitre 4 - Choc et vidéo (Apolline)

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La première épreuve de concours blanc s'est bien déroulée. Enfin, je crois. Disons que je l'espère en tout cas. À peine sortie, après six heures enfermée à réfléchir sur le sujet « Dans quelle mesure Arthur Rimbaud est-il révolutionnaire pour son époque ? », me voilà enfin libérée délivrée. J'ai limite envie de chanter la chanson de La reine des Neiges devant la fac, telle Elsa, mais je me retiens au dernier moment en voyant mon portable vibrer.

C'est mon père. Sa photo s'affiche en même temps que les vibrations.

— Oui Papa ? décroché-je.

— Coucou Apo'. Je voulais savoir comment ça s'était passé ?

— Ça va, je crois. Il reste encore l'épreuve de demain, puis les révisions, puis les vraies épreuves, puis...

— J'ai compris, rit-il. Mais aujourd'hui, ça allait ?

— Ça allait.

— Tu vois que Léon avait raison, il faut prendre les choses comme elles viennent, sans imaginer le pire.

Plus facile à dire qu'à faire, mais oui : Léon avait raison.

C'est la phrase préférée de mon père ces derniers mois : Léon a raison.

C'est drôle, Tony Estanguet, mon cher Papa, détestait Johann, mon précédent petit ami, alors qu'il faisait du canoë comme lui. Mais avec Léon, c'est différent. Bon, j'avoue qu'il n'a pas trop apprécié notre médiatisation ni qu'il m'embrasse dans un ascenseur (je vous renvoie au tome 1 de notre histoire si vous avez manqué cet épisode dans lequel j'ai cru que j'allais être découpée en morceau, avant de me rendre compte que Léon souhaitait juste me déclarer son amour). Quoi qu'il en soit, depuis ce moment, surtout depuis que je suis allée passer une semaine de vacances à Toulouse, en août dernier, mon père ADORE Léon.

Ses parents sont venus me chercher à la gare Matabiau, ils m'ont amené dans sa maison (qui avait une piscine, évidemment) et nous avons passé une super semaine. On a beaucoup regardé les jeux paralympiques à la télévision, et on s'est surtout promené dans la ville. Léon m'a présenté ses amis, son ancien lycée, l'université Paul Sabatier où il a étudié lors de ses premières années après le bac et aussi le Club des Dauphins de TOEC, où il était licencié, et où il a commencé ses premières compétitions.

Même si si c'était étrange et bizarre d'être arrêté dans la rue quand on allait se promener et de voir Léon obligeait de répondre aux gens ou signer des autographes (j'avais un peu l'impression d'être un pot de fleurs à côté), les gens étaient plutôt respectueux. Rien à voir avec la vidéo m'accusant d'avoir drogué Léon durant les jeux ou le comportement de certains touristes à Paris.

Léon est remonté quelques jours sur Paris après cela, début septembre, avant ma rentrée. Il avait des publicités à tourner, il était invité à l'Élysée (oui oui, vous avez bien lu), et à la Fédération de natation, et comme mon père était le président du Comité, je l'avais accompagné. Lui comme moi n'étions pas très à l'aise en public, mais au final, ça s'était bien passé. Léon est venu ensuite passer deux jours chez moi, il a rencontré mes frères qui l'ont taxé d'un milliard de questions, et depuis, toute ma famille a déclaré que Léon était « le gendre idéal ».

Comme des milliers de français.

Sauf que c'est MON petit copain.

Et le futur gendre de MON père.

D'ailleurs, à l'écouter, nous serons mariés l'année prochaine.

À cette pensée, je me mets à rougir. Je ne serai pas contre passer toute ma vie avec Léon, et me voir appeler plus tard Apolline Marchand, mais chaque chose en son temps (ça rime). En attendant, je rassure mon père et lui promets que je ne vais pas tarder :

— Tu veux manger quoi ce soir ? Marius va faire des courses.

— Pâte au pesto ? proposé-je.

— Bien, je vais aussi lui dire de prendre du basilic et du parmesan.

Je le remercie. Mes frères et moi aidons beaucoup mon père à la maison. Avant, quand Maman était là, c'était elle qui faisait tout cela.

Mais depuis qu'elle est partie...

Bref, je préfère ne pas y penser. J'aime aller de l'avant et penser à l'avenir.

— À tout à l'heure.

Je raccroche, puis attend que Zoé et Pierre me rejoignent pour prendre le métro. À priori, Pierre s'en est bien sorti, contrairement à Zoé qui est persuadée d'avoir tout échoué.

— Je crois que j'ai confondu Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, se plaint-elle.

— En même temps, ils ont vécu à la même période, la rassure Pierre. Et ils étaient amants.

— Mais ça n'a rien à voir ! s'exclame Zoé. Les profs ne vont pas me mettre un point supplémentaire parce qu'ils étaient amoureux.

— Rimbaud a écrit des textes avec Verlaine, ça peut passer.

— Sur un malentendu..., ajouté-je.

Je suis très adepte du « Sur un malentendu, ça peut passer ». Après tout, c'est un peu ce qui est arrivé pour Léon et moi. On ne se connaissait pas. Je lui ai donné une bouteille, il a voulu me retrouver (OK, c'était après que je l'ai entre-aperçu nu dans les vestiaires, mais ça ne compte pas), et ensuite, on s'est croisé et recroisé, et « sur un malentendu » (et sûrement aussi parce qu'il y avait un petit quelque chose entre nous), on s'est aimé.

Nous nous engouffrons dans le métro pendant que Zoé et Pierre se chamaillent. J'en profite pour scroller sur les réseaux sociaux. Il est tard à Phoenix. À cause des sept heures de décalage horaire, on a dû mettre en place un planning pour pouvoir se parler avec Léon. Je jette un coup d'œil sur ma montre : 14h. Il est donc 20h en Arizona. Je vais pouvoir appeler Léon pour notre visio quotidienne en rentrant. En attendant, je continue de faire dérouler les publications sur Instagram, puis j'enchaîne avec Tiktok, parce que je ne sais pas trop quoi faire, et c'est là que je tombe sur une vidéo qui manque de me faire lâcher mon bordel.

MERDE !

— Bordel ! C'est quoi ça ?

Par-dessus mon épaule, je sens la tête de Zoé s'avancer, alors qu'elle fixe la vidéo que je contemple, les yeux écarquillés. J'ai l'impression d'être revenu six mois en arrière, au moment où cette fille a dit des conneries sur moi et Léon, sur Tiktok. Sauf qu'à l'époque, ce n'était qu'un tissu de mensonge.

Sauf qu'à l'époque, cette fille ne nous connaissait pas, et ne voulait que faire le buzz.

Là, c'est différent.

Ce n'est pas un montage, c'est bien Léon qui se trouve sur cette vidéo.

Une vidéo postée par un certain « Bryan Evans », dont j'ai déjà entendu parler, puisqu'il est dans la même université que Léon, et suit des cours d'informatique comme lui.

Et sur cette vidéo, Léon n'est pas seul.

On le voit, un verre à la main, face à une fille en débardeur, portant un piercing au nombril, qui se penche vers lui. Ils sont proches, très proches.

Et soudain, elle l'embrasse. 

L'océan qui nous sépare : Léon Marchand et Apolline, la bénévoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant