Transformations

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Très jeune, je haïssais mes parents.

Je ne supportais pas leur façon de me dire que je n'étais qu'un moins que rien. Je ne supportais pas l'idée d'avoir été parmi les premiers enfants entièrement conçus en dehors du corps de ma mère. J'étais en effet issu d'une fécondation in vitro et d'un développement extra corporel. J'avais grandi dans une matrice de synthèse. Ma mère ne m'avait jamais porté. Elle ne m'avait jamais enfanté. Et pour cause : afin d'éviter tout risque de cancer, elle avait – entre autres – subi une mastectomie ainsi qu'une hystérectomie préventives (bien évidemment suivies de chirurgie laser reconstructive). Ma mère m'avait regardé me développer dans un dispositif expérimental, parfaitement consciente que mes chances d'aller au bout n'étaient que de 2.7%.

J'étais le produit d'une expérience.

Littéralement.

Mes parents, des Objectivés bien évidemment, ne m'avaient pas désiré. Ou, tout au moins, ils ne m'avaient pas désiré comme des parents pré-Objectivation auraient pu désirer un enfant. Ils avaient tout simplement choisi d'avoir un enfant, avec un immense détachement, juste « pour voir ». Être parmi les premiers parents à concevoir de manière totalement artificielle avait sûrement été l'une de leurs principales motivations. Bien sûr, je n'ai jamais manqué de rien. Mes parents étaient riches, et l'État offrait des subventions pour ce nouveau mode de reproduction. J'avais eu droit à la totale, avec notamment un passage au crible de mon génome dès le stade embryonnaire. Les autres « moi » dont le génome n'était pas aussi satisfaisant avaient été impitoyablement « supprimés », tout simplement. J'étais l'unique survivant de ma fratrie, et je ne devais mon salut qu'à la qualité de mes gènes. Les gamètes de mes parents avaient été soigneusement sélectionnés avant même la fécondation, et les premières cellules de mon organisme furent la cible d'une thérapie génique préventive de la plus haute qualité. Mon patrimoine génétique était exceptionnel.

Mais cela ne suffisait toujours pas.

Après ma « naissance », dès que mon corps fut capable de supporter la chirurgie, mes parents me firent retirer les derniers « obstacles » que mon corps mettait en travers de ma propre vie. C'est ainsi que mon estomac fut retiré et que je fus restreint à une alimentation par intraveineuse scientifiquement étudiée dès mon plus jeune âge. Mon appendice me fut très tôt retiré. L'extrémité de mon colon fut sectionnée pour prévenir la possibilité future de cancer colorectal. Car, s'il y a bien quelque chose que la Médecine nous a enseigné, c'est que le corps humain n'est pas fait pour vivre éternellement. Il se construit lentement, atteint la puberté où il est censé se reproduire, puis il se détériore un peu plus chaque jour. L'évolution ne nous a pas conçus pour durer, mais simplement pour copuler avant de passer le relai.

Rien de plus.

Alors, pour vivre plus longtemps, pour dompter nos gènes et les museler, pour enfin nous libérer, la seule solution est de nous transformer pour refuser notre animalité. Mon corps fut profondément modifié de l'intérieur par des nanomachines autorépliquantes, qui subsistent encore en moi aujourd'hui, contrôlant la concentration des nutriments dans mon sang. Elles réparent sans relâche les micros lésions qui surviennent en moi chaque jour. Elles renforcent continuellement mes synapses, veillent à la non dégénérescence de mes neurones. Elles traquent les caillots dans mes veines et nettoient tous les jours mes artères du moindre dépôt graisseux qui pourrait s'y fixer. Les nanomachines veillent également à la préservation de mon ADN : elles éliminent les mutations néfastes car non conformes au génome de base et veillent à l'intégrité de mes télomères. Inlassablement, elles réparent ma cornée. Elles anéantissent toutes les cellules qui ne réalisent pas correctement l'apoptose, le suicide cellulaire programmé, exterminant ainsi le cancer à la racine. Elles suppriment les radicaux libres qui pourraient dégrader mes cellules, et aident ces dernières à évacuer leurs déchets. Les cartilages de mes articulations ont été remplacés par des polymères de synthèse. Je ne suis pas une machine, non, pas du tout, mais la science m'a considérablement amélioré. Je suis insensible au SIDA ainsi qu'à ses terrifiants successeurs.

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