6- Mélisaren

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— Une autre dose de péramine, et préparez-moi un cathéter et un drain !

L'homme penché au-dessus de sa patiente affichait une haute stature et cette allure voutée que l'âge impose aux grandes tailles. Sans doute autrefois aurait-il rivalisé sur ce point avec Jawaad. Mais dans son cas, la jeunesse n'était plus qu'un lointain souvenir que rappelaient ses boucles de cheveux blanc cassé dépassant de son bonnet de lin, se prolongeant en une barbe taillée avec soin que cachait un masque chirurgical de la même étoffe. Duncan était un des premiers médecins sur l'ensemble du Sud des Mers de la Séparation à user de ce genre de précautions sanitaires, dont il enseignait la méthodologie et l'utilité le plus souvent possible et qu'il avait imposé à tout son personnel en cas de besoin. Comme ici, alors qu'il opérait avec dextérité et précision l'esclave de son ami, sous son regard.

Jawaad était à l'autre bout de la grande pièce entièrement carrelée de blanc du sol aux murs. Appuyé contre la porte, bras croisés, il obéissait à la consigne stricte de ne pas approcher à moins de trois mètres. Sa présence était d'ailleurs un privilège qu'avait admis Duncan. Pour tout autre, il aurait refusé tout spectateur qui ne soit pas de ses élèves ou du personnel de son hospice.

Son assistante, comme lui revêtue d'une grande blouse blanche, d'un bonnet et d'un masque, opina, pour aller chercher ce que demandait le doyen et préparer une seringue du puissant antalgique qu'avait réclamé Duncan. Jawaad observait Lisa, plongée dans le coma depuis le matin. Il conservait le plus parfait silence, sans un mouvement. Il aurait eu du mal à prétendre comprendre ce que faisaient les deux médecins, en détail, tout du moins. Mais il était en fait facile de le résumer : ils tentaient de sauver sa petite Terrienne, pour laquelle il avait pris tant de risque pour la confier à temps à son vieil ami.

***

Sonia était installée au sommet du grand mât de la Callianis, plusieurs mètres encore au-dessus de la hune. De son perchoir, elle pouvait doublement profiter du vent frais qui dissipait les relents nauséabonds des quais et d'une vue unique sur tout le vaste port qui se prolongeait en pente douce, jusqu'à la cité abritée par de puissants murs posés sur les flancs du massif rocheux lui tenant lieu de socle. C'était, après cinq jours d'efforts acharnés, le premier véritable repos qu'elle pouvait s'accorder. Désormais, le sort de Lisa ne dépendait plus d'elle, mais des chirurgiens qui avaient la confiance de Jawaad. Distraitement, elle songea que si on lui avait demandé son avis, elle aurait déclaré qu'elle ne donnait pas une chance à la petite terrienne de voir le jour se coucher. Durant une seconde, guère plus, elle eut un élan d'émotion, et fut surprise d'une larme naissant sous sa paupière. Elle se demanda le pourquoi de cette larme. Était-ce autant d'affection que cela pour cette jeune femme, ou la crainte que son si ténu espoir ne se meurt avec elle ? Elle fut surprise de sa réaction, avant de l'oublier l'instant d'après. Elle goûtait avec délice à la caresse du vent et aux rayons du soleil qui tombait doucement sur les collines à l'ouest, et n'aurait bougé de sa chaude et agréable place, quand son farniente paisible fut interrompu par une voix puissante, qu'elle reconnut aussitôt :

— Descend de là !

Sonia roula sur elle-même, pour finir sur le ventre, perché sur son mât. Elle leva un sourcil pour toiser Damas qui, des mètres plus bas, la fixait depuis le pont. Et tout à fait dédaigneuse, elle reprit sa position première, à se faire dorer au soleil tel un lézard.

Damas insista :

— Hey, tu es sourde ?!

— Je suis bien, là !

Damas lâcha un juron, sentant la moutarde lui monter au nez. Le Jemmaï était patient, et il aurait fallu une sacrée mauvaise foi pour prétendre qu'il fut dur ou cruel avec les esclaves — là d'où il venait, l'asservissement était mal vu parfois même totalement proscris — mais il avait horreur qu'on remette en cause son autorité, surtout sur son bateau et devant ses hommes, en plein travail de remise en état du navire. Forcément, ceux-ci ne loupaient rien de l'échange. D'autres que lui auraient envoyé un marin aller chercher la frondeuse mais, pour le coup, Damas se sentait personnellement visé :

Les Chants de Loss, Livre 2 : MélisarenHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin