Cours et ne t'arrête pas [HISTOIRE ABANDONNÉE]

♦ Chapitre sept ♦

    Il s'énerve, les traits de son visage deviennent la colère et la culpabilité à l'état pur. On dirait un ouragan en pleine action. J'ai envie de dire quelque chose, mais je ne sais pas quoi.

    J'assiste donc en silence au passage de la tornade furieuse.

    Il me regarde. Son regard, empli de colère, de déception, de désir, de douceur, de pardon et de culpabilité semble plus vivant que jamais.

    Il me regarde. Depuis un certain temps, d'ailleurs. Mais c'est agréable. De sentir son regard plonger dans mes yeux, comme s'il plongeait dans mon âme.

    Il me regarde.

    Je le regarde.

    Plus rien ne semble exister. Sauf nous deux, moi l'amnésique, et lui, mon sauveur.

    L'amnésique. Ce mot me remet les idées en place directement. Il faut que je sache d'où je viens, qui je suis, comment suis-je arrivée dans l'endroit où j'étais enfermée... Qui il est, aussi.

   Teera. Je trouve cela injuste. Je connais son prénom, alors que moi je ne sais même pas le mien. C'est injuste. A cette pensée, une phrase se fraye un chemin dans mon esprit. « L'injustice fait partie de ce monde. » Je murmure ces mots, sans grandes convictions :

― L'injustice fait partie de ce monde, l'injustice fait partie de ce monde, l'injustice fait partie de ce monde...

    Je m'arrête, car dire cette phrase à haute voix me fait l'impression d'entendre une vielle folle. Je m'arrête aussi car je sens le regard lourd de Teera qui pèse sur moi. Je lève les yeux vers lui. L'expression de son visage est étrange. Il sourit, ses dents blanches étincellent, mais ses yeux ne semblent pourtant pas être en accord avec sa bouche. Ils expriment le doute, l'incertitude et un tout petit peu de joie. Je l'interroge du regard, sans comprendre.

― Tu te souviens ! S'exclame Teera. Je pensais qu'ils t'avaient détruits tous tes souvenirs, mais non... (Il prend un air songeur) Il y a sûrement plusieurs souvenirs plus forts que ces petits merdeux... Mouais, ça doit être ça...

    J'essaye de comprendre ce qu'il raconte, mais c'est peine perdue. Il continue de parler, comme s'il tentait d'expliquer des choses... à lui même. Je m'isole dans mon coin, me perdant dans mes réflexions. Essayant avec mes maigres connaissances, je dresse une liste des questions sans réponses :

    - Qui m'a enlevé tout mes souvenirs ?

    - Comment ?

    - Pourquoi ?

    - Suis-je tout simplement moi-même amnésique sans que personne n'ait touché à ma mémoire ?

    - Comment suis-je arrivée dans la pièce, surveillée par un garde que j'ai probablement tué après ?

    - De quoi veut parler Teera quand il dit que j'ai essayé plusieurs fois de m'échapper, alors que je ne m'en souviens pas ?

    - Qui sont les gens qui m'ont enfermée ?

    - Pourquoi aies-je fait confiance aveuglément à Teera, quand il est venu soit-disant pour me libérer ? Non, ça, je sais pourquoi. Simplement parce que je n'avais pas le choix.

    - Qui sont les gens qui étaient autour de moi quand je me suis réveillée ?

    - Qui est Teera ?

    - Qui suis...

― Qu'on m'amène Jeff ! Hurle Teera, un sourire aux lèvres.

   Je sursaute. Mon petit cœur saute un battement, tellement que j'ai été surprise par ce cri. Je me tourne vers Teera, qui lui a les yeux tellement illuminés, que c'en est presque éblouissant.

― Qui est Jeff ? Demandé-je.

   Teera n'a pas le temps de me répondre, car la porte s'ouvre à la volé. Un petit blondinet à lunettes, à la peau très pâle et avec une démarche hésitante s'avance dans la salle. Il pose brièvement un regard vers moi, puis le détourne, visiblement gêné. Il se dirige vers Teera, puis lui murmure à l'oreille des phrases que j'entends malgré la distance de sept mètres, très distinctement :

― On m'a dit qu'elle se rappelait de quelque chose... C'est la première fois que ça arrive. Puis-je savoir quels sont les mots qu'elle a prononcé ?

    Teera s'apprête à lui répondre, mais je le devance.

― J'ai prononcé « L'injustice fait partie de ce monde », dis-je sous les yeux étonnés du blondinet et de Teera.

    A mes mots, le blondinet pâlit tellement que sa couleur de peau devient presque irréelle. Teera me regarde avec étonnement, puis se tourne vers Jeff, qui lui me contemple avec une curiosité non feinte. Je décèle dans son regard une petite pointe d'effroi. Et de compassion.

― Jeff... Tu ne crois quand même pas que..., dit Teera sous le choc.

     Le prénommé Jeff s'avance rapidement vers moi ; ignorant le bras protecteur qu'a mis Teera entre Jeff et moi.

― Qu'as-tu dit ? Me questionne Jeff.

    Je commence à avoir peur. Je bredouille, hésitante :

― « L'injustice fait partie de ce monde ».

    Jeff se tape le front puis me regarde avec des gros yeux. La couleur de sa peau blanchit encore plus, puis il murmure :

― C'est pas vrai...