3. Réponses

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"Mon cher frère aurait-il perdu la mémoire ?" Mycroft est assis dans le fauteuil de John. Il est entré dans la pièce et s'y est installé. Comme s'il lui avait toujours appartenu, comme si mon colocataire n'était qu'un songe, un ami imaginaire balayé par les ans. A dire vrai, le simple fait qu'il foule le sol de notre appartement m'irrite. Son intonation, ses gestes me rappellent notre enfance. Un courant d'air glacé parcours ma colonne vertébrale. "Regrettable je l'admet..." Je ne comprends pas pourquoi les gens m'associent sans cesse à mon frère. Suis-je méprisant à ce point ? Mon aîné me scrute, me pénètre littéralement de son regard. Il se délecte. J'ai besoin de lui et il le sait.

"Ferme-la. Je veux juste savoir pourquoi je me suis retrouvé dans cet état disons... peu agréable." Mes mains se joignent sous mon visage. Mes yeux se ferment un instant, le temps de réfléchir.

"Et pourquoi ne demandes-tu pas à ton fidèle compagnon ?"

"Si c'est de John dont tu parles, je n'ai pas franchement envie d'aborder le sujet avec lui."

"Bien sûr que c'est de John dont je parle, as-tu d'autres amis blogueurs qui te suivent partout ?" Saisissant mon violon à ma droite, je glisse lentement mon archet sur les cordes. Les sons produits sont faux. Faux et sur-aiguës pour la plupart. Une version cauchemardesque du Lac Des Cygnes de Tchaïkovski. Mycroft ne tiendra pas longtemps, il exècre les fausses notes. Plus encore que les individus ordinaires. Je le regarde du coin de l'œil, il commence déjà à serrer les mâchoires. A présent, nous nous regardons droit dans les yeux. Un sourire satisfait peut se lire sur mes traits. J'aime voir mon frère plier. Doucement mais surement. "Bon, arrête ce massacre, veux-tu." Aussitôt, je m'immobilise et dépose avec une infime précaution mon arme à sa place.

"Ne lésine pas sur les détails, je dois pouvoir reconstruire la scène mentalement." De nouveau les yeux clos, je m'apprête à stoker ces précieuses données. Cet événement va probablement influer sur mon existence un long moment, au vu de mes blessures et de la réaction de mon fidèle compagnon - quel horrible surnom, il est parfait.

"Je n'ai que ce que les témoins ont bien voulu m'offrir, cher frère." Faux. Peu importe, le lieu où cet incident s'est déroulé, il y avait forcément des caméras de surveillance. Londres n'est pas la ville la plus vidéo-surveillée du monde pour rien. Et Mycroft serait prêt à les visionner une à une pour savoir ce que je fais, avec qui - ça implique toujours John, de toute façon - et à quel instant. "D'après ce que je sais, l'Inspecteur Lestrade t'as confié une affaire sur un gang d'un nouveau genre sévissant à Londres. Les médias les ont appelé les Riders. Vulgaire mais efficace. En référence aux... motocyclettes qu'ils utilisent durant leurs braquages. Ils sont méthodiques, organisés et malins. Pourtant, deux jours t'ont suffit pour mener Scotland Yard à leurs quartiers. Là-bas, un armement militaire de haute technologie a été recensé. Des armes bactériologiques, des ordinateurs capable de pirater jusqu'à la banque d'Angleterre ainsi que d'autres joujoux plus ou moins top-secret."

"Je ne te félicite pas, Mycroft..." Les pas de mon frère résonnent sur le parquet autour de moi. Son intonation est grave, cela n'annonce rien de bon.

"Ces Riders n'avaient jamais rien utilisé de tel jusqu'à présent. Ils ne faisaient que foncer dans les banques et commerces à l'aide de leurs... engins motorisés. Puis de repartir avec le butin."

"Qu'est ce qui a changé ? Des cambrioleurs à moto - on dit moto Mycroft, pas motocyclette - ne se contentent pas de petits vols quand ils peuvent mettre à genoux le pays tout entier. Ça n'a pas de sens." Je rejoins mon frère dans la position debout. J'ai besoin quelque chose de fort plus réfléchir et même si le peu de thé qu'il nous reste ne fera pas l'affaire bien longtemps, je ne peux prendre le risque de dévoiler à Mycroft ma cachette de cigarettes. Le bruit de la bouilloire me dérange. C'est comme s'il soulignait mon incompétence, mon incapacité à comprendre. Je remarque pour la première fois que le long sifflement de cet objet si familier ressemble étrangement à celui que font le tas de machines encombrantes lorsque quelqu'un décède dans un hôpital. En moins continu et peut-être moins aiguë mais la sensation est la même. Ce son est dérangeant.

Derrière La PorteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant