15. Squat

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Mycroft pousse théâtralement une porte à double battant qui claque à plusieurs reprises derrière nous. Son pas se fait pressant. J'ai l'habitude d'une telle cadence mais John, à l'inverse, peine à nous suivre. Son boitillement semble d'ailleurs refaire surface dans ces moments là. Bien que je reste persuadé qu'il n'était que purement psychosomatique. Nous traversons un immense open-space dans lequel des rats de bibliothèque numérique tapotent en rythme sur leur clavier. J'en ai compté trente deux lorsque nous arrivons à destination, prêt d'un homme aux allures de bureaucrate gradé. Il a passé la quarantaine il y a peu, vit entre deux avions, a autant de maîtresses que de costumes sur mesure. Un stéréotype de la profession. Pas étonnant que mon frère n'ai pas confiance en ses propres agents.

"Elder, voici Sherlock Holmes, mon cadet, et son... compagnon, le docteur John Watson. Taylor Elder, éminent membre du MI6." Mycroft serre la main de cet homme avant de s'intéresser à ce qui se déroule sur son ordinateur. C'est incroyable comment tout le monde se tient à carreau lorsque mon frère est dans les parages. Est-il si puissant que cela ? Je ne me suis jamais vraiment intéressé aux fonctions de Mycroft. Nos parent le couvrent assez d'éloges, je les laisse juges de l'importance de Micky au sein du gouvernement. Mais si ses larbins savaient qu'un petit cup cake suffit à le faire plier, tout le monde ne serait pas au garde-à-vous de la sorte.

"Nous avons passé la page Wikipédia de Napoléon Bonaparte au crible et en effet, elle regorge de liens cachés menant vers le deep web." Après quelques manipulations sur son clavier, l'écran devient noir et une foule d'écritures vertes s'y précipitent. Tout en continuant à taper frénétiquement, l'homme continue ses explications. "Le deep web est la portion invisible d'internet, non répertoriée par les moteurs de recherche et représentant environ 90% du web entier. La partie immergée de l'iceberg, en somme. Les sites que l'on y trouve sont pour la plupart illégaux, peu fiables, ou bien infestés de virus." Une ou deux lignes de code plus tard, une page internet s'affiche, puis une autre et encore une troisième. Le design est semblable aux sites auxquels chacun à accès. Cependant, d'après ce que ce court aperçu laisse entrevoir, cette part obscure d'internet semble être le nid de hackers, terroristes et autres dealers en ligne. "Les passerelles trouvées sur Wikipédia sont assez rares, voire rarissime. Car même s'il faut certains logiciels pour pénétrer le deep web, c'est une manoeuvre qui facilite son accès. Les hyperliens détectés conduisent à des zones de tchat cryptées. Et c'est là que ça coince. Nos logiciels de décryptage tournent dans le vide depuis des heures sans rien trouver. Aucune correspondance avec un code existant. Nos suspects ont donc certainement créé leur propre langage, assez complexe pour déjouer nos ordinateurs." Mycroft soupire et fait tourner son téléphone dans ses mains plusieurs fois, signe d'un certain agacement. Un très léger silence s'installe.

"Je veux ces codes sur clé USB au plus vite, Mycroft. John, nous partons, j'ai quelqu'un à visiter." Mon frère n'a pas le temps de relever la tête et que j'ai déjà quitté le poste informatique. John sur mes talons. Brave soldat. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi mais sa présence m'était agréable, presque indispensable depuis le temps. Je détestais plus que tout lui cacher des choses - du moins, des choses que je n'avais pas moi-même décidé d'omettre.

Nous descendons l'escalier de verre par lequel nous sommes arrivés un peu plus tôt lorsque qu'une femme nous courre après, un petit objet en main. La clé USB. C'est fou ce que l'on travaille plus efficacement sous la pression. Je la lance à John en souriant et celui-ci manque de la faire tomber entre deux marches. Il jure d'ailleurs deux fois dans sa barbe avant de la glisser dans la poche de son blouson. Direction les bas-fonds de Londres.

*

Ce que peu de personnes savent au sujet des squats est qu'il est relativement facile d'y entrer à partir du moment où l'on sait où aller. Et John, justement, est complètement perdu. Voilà bien une demi heure qu'il vocifère sur notre destination, à coup de soupire et de questions sans réponses. C'est dans ces moments que je regrette de ne pas avoir amené Mycroft avec nous, juste pour qu'ils se fassent la conversation mutuellement. Mais mon cher frère n'aurait pas manqué de raconter cette expédition à notre mère qui m'aurait par la suite harcelé de coup de téléphone. Non merci. Je préfère les grognements de John.

Derrière La PorteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant