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Cela faisait maintenant dix minutes qu'il attendait sous cet arbre.
Peut-être avait-elle vraiment oublié ?
Il secoua la tête de gauche à droite comme pour effacer cette idée.
Il avait attendu deux ans, il pouvait attendre dix minutes encore.
Mais c'est que le jeune homme n'a qu'un tee-shirt et une veste en jeans sur le dos pour se protéger du froid hivernale. Il tremble. Sa lèvre est violacée. Mais il l'attend.
Elle en vaut la peine. Il braverait des tornades pour revoir son visage.

Une silhouette apparaît dans la nuit. Un pull bordeaux et un pantalon trop serré pour contrer ce même froid se dessinent dans la nuit.
L'homme regarde sa montre.

23:13

C'est elle.

Plus l'ombre approche, plus on en distingue les traits. De longs cheveux bruns virevoltent dans le vent. On se croirait dans un film hollywoodien, mais ici c'est la réalité et quand la demoiselle arrive à la hauteur de notre protagoniste, celui-ci souffle de soulagement. Elle est finalement venue.
Les deux se regardent, s'admirent, se découvrent.
Ils sont heureux de se retrouver.
Finalement, l'homme rompt les quelques mètres qui les séparaient en deux-trois foulées et la prend dans ses grands bras.

« Harry. » souffle-t-elle une fois que leur corps sont collés.

« Je sais mais ne dis rien. Laisse moi profiter de ta présence petite Émilie. »

Ils restent quelques instants ainsi, dans les bras l'un de l'autre, appréciant le silence qui les étouffe pourtant.

Celle qui semble s'appeler Émilie se recule. Elle n'en peut plus. Elle doit lui dire. Elle ouvre la bouche puis, ne trouvant rien à dire, la referme.

« Asseyions nous. »

Harry, surpris, fronce les sourcils mais finit par suivre Émilie.
Arrivés à un banc à l'abri des regards, elle prend une longue respiration et se prépare pour ce qui semble être un long monologue.

« Il y a quelques années de cela, j'ai rencontré un garçon.
Je l'aimais, je crois. En fait, j'en savais rien. Je pense que je m'accrochais seulement à l'idée qu'il puisse m'aimer. Mais c'était une période difficile de ma vie et j'avais cruellement besoin d'amour. Je n'étais pas vraiment amoureuse, je suppose que je ne savais même pas ce que c'était. Les papillons dans le ventre, les jambes qui tremblent, c'est ce qu'on dit non ?
Je suis restée avec lui deux ans avant de me rendre compte que ce que nous vivions n'était pas de l'amour mais une très belle amitié que nous essayions chaque jour d'arroser d'un peu d'amour. Mais ce n'était qu'un mirage. Je ne l'aimais pas, il était important pour moi mais je ne l'aimais pas.
Il était certain qu'il pouvait m'apprendre à aimer. J'ai toujours été de nature curieuse, alors j'ai accepté d'essayer.
La curiosité est un vilain défaut.
J'ai tellement bien appris la leçon que je l'aimais plus que lui. Chaque jour, je me réveillais avec l'espoir qu'il m'aime au point d'en mourir et je ne me nourrissais que de ça.
Je l'aimais trop. Et ça me tuait.
»

Elle relève la tête, soucieuse de la réaction de Harry à cette première information. Ce dernier la regarde stupéfait. Il a l'impression de parler à une étrangère. Comment a-t-il pu passer à côté de ça ? Il était pourtant sûr d'avoir tout fait pour lui montrer qu'elle comptait pour lui. Il se le disait même. Les mots n'étaient-ils plus suffisant ?
Il fronce les sourcils, puis se décide à poser la question qui lui brûle les lèvres.

« Pourquoi es-tu partie ? Pour lui ?»

Elle sursaute. Elle ne s'attendait pas à cette question. Maintenant, elle doit répondre et même si ça lui fait mal, elle doit dire la vérité.

«Je suis partie parce que je l'aimais et il m'a laissé faire parce que ce n'était pas réciproque. Il n'était pas prêt à passer du théorique à la pratique. Je l'ai bien compris cela. Sais-tu combien j'ai souffert quand je me suis rendue compte qu'il ne me vendait que du rêve, que ce qui était apparemment à portée de main était sur le point de m'être enlevé ? Je ne suis pas absurde, dès que j'ai compris cela j'ai cessé de tendre la main et je suis partie.»

Il ne comprend pas. Pourquoi aurait-elle tout quitter pour lui ? Elle n'avait pas la meilleure famille du monde mais toujours est-il qu'elle en avait une, de famille ? Pourquoi être passée à côté de sa propre famille ?

«Au prix de faire souffrir ta famille ?»

Elle détourne le regard et se demande si elle peut donner ce genre d'information. Il a déjà souffert à cause de sa propre famille, comment va-t-il réagir quand il saura qu'il n'a même pas pu plaire à la sienne ?
Elle ne peut rien lui cacher, à quoi bon essayer.

«Ma famille ? Nous n'étions plus une famille depuis longtemps. Depuis que je le connaissais, en fait.
Il n'y avait que Lucie qui arrivait à le supporter.»

Il prend le temps d'assimiler cette deuxième information en espérant qu'il n'apprendra rien de plus éprouvant. Il était sûr d'avoir tout fait pour ne pas décevoir une seconde fois quelqu'un qu'il aimait. Il avait misérablement échoué.

Il y pense quelques instants.

«Il a tout brisé, n'est-ce pas ? Ton cœur et ta famille.
Il doit vraiment être idiot.»

Elle sourit, mais ce sourire reflète toute sa peine et sa nostalgie. Elle se force à sourire et Harry le sent cependant il n'ose pas la couper dans ses pensées. Il la laisse s'y perdre.

«Il ne l'était pas. Il était l'une des plus intelligentes personnes que j'ai jamais rencontrées. Je crois que je ne puis rien lui reprocher, sauf peut-être de ne pas m'avoir aimé assez.»

Il ne prend pas la peine de réfléchir et chuchote ce qu'il avait prévu d'annoncer à Émilie depuis dix jours déjà.
«Et si, là, maintenant, ce même idiot te demandait en mariage pour te prouver que rien était mirage, qu'il t'aime vraiment et qu'il est prêt à passer à la pratique. Qu'il est prêt à se construire sa propre famille qui, elle, ne lui tournera pas le dos ?
Qu'est-ce que tu lui dirais ? »

De la surprise se lit sur son visage, après tout ce qu'elle lui a confessé, elle n'avait pas prévu cette réponse. Elle attendait des cris, des pleurs et ce que lui apporte le jeune homme la soulage.
Elle a besoin d'être sûre, et si elle avait rêvé ? Elle en mourrait de honte.

«Tu le ferais ? Me demander en mariage, tu le ferais vraiment ?»

L'adolescent esquisse un doux sourire et la regarde ranger ses cheveux derrière ses oreilles d'un œil attentif, ne voulant pas oublier la couleur de ses cheveux ou le mouvement discret de ses doigts quand elle les range derrière ses oreilles.

«Ma petite Émilie, me ferais-tu l'honneur de t'apprendre une dernière chose et devenir celle que je cherirai, soutiendrai et aimerai jusqu'à la fin de mes jours ?»

Elle l'admire. Comment ce petit bout d'homme peut-il prétendre supporter une telle charge sur ses épaules frêles ?

«Je l'ai attendu des années durant. Cette demande, j'en ai rêvé. "Fais de tes rêves une réalité" dit-on, j'en ferai bien une réalité à présent.
Mais j'ai une question pour toi :
Pourquoi maintenant ? Pourquoi est-ce que quand j'ai cessé de tendre la main, viens-tu me voir et me poser une telle question ?»

C'est son tour d'être surpris. Beaucoup de choses restent incomprises chez les adolescents. En effet, le garçon ne suit pas son raisonnement. Pourquoi a-t-elle encore peur après tout ce qu'il a promis ? Il lui offre son cœur, son corps et son âme, ne peut-elle pas juste accepter ?
Mais il lui doit la vérité.

« Il m'a fallut te perdre pour me rendre compte que je ne vivais que pour toi. Pendant ces années, je ne pensais qu'à toi et chaque nouvelle lettre était une promesse que je te faisais.
Alors, me ferais-tu l'honneur de devenir officiellement celle pour qui je mourrais ?»

Elle hoche la tête comme si ce qu'elle venait d'apprendre n'avait pas un réel impact sur elle. On le sent, pourtant, ce vide qui se rempli petit à petit en elle. Ces paroles la réchauffent dans ce froid glacial.

«C'est donc ça, la nouvelle qu'il te tardait de m'annoncer. Je suppose que demain sera un nouveau jour, et qu'il ne te reste plus qu'à attendre ce jour pour savoir si je suis prête à sacrifier ma solitude au prix de ton amour.»




Nos Lettres [Terminée] H.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant