Course poursuite nuageuse et politique intermondiale

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Onze petites minutes. C'est là tout le temps nécessaire pour se faire détester d'une ville entière.

Il y a onze minutes Emilien sortait de la gare, avec une certaine appréhension certes, mais elle n'avait absolument pas pris pour cible la topographie, rien donc qui ne méritait qu'elle s'en prenne à lui. Il se rendait à un entretien d'embauche. La boule dans son estomac était simplement un magma d'appréhension et de stress à l'idée de devoir défendre son curriculum vitae. Indubitablement, cela lui avait volé quelques heures de sommeil et peut-être, il est vrai, n'était-il pas dans les meilleures dispositions pour faire connaissance, car c'est peut-être ce qu'elle avait essayé d'établir : un premier contact ? La bonne humeur joviale et les éclats de rire candides d'un groupe de collégiennes assises sur la fontaine qui faisait face à la sortie du terminus, ou encore la bonne odeur de sauce au thym qui se dégageait de la brasserie de la gare dans lequel le plat du jour avait mijoté deux bonnes heures, peut-être la ville avait-elle essayé à sa façon de lui souhaiter la bienvenue. Il avait pourtant ignoré tout cela et s'était dirigé avec un pas décidé vers le centre-ville, les yeux rivés sur sa montre qui lui donnait pourtant vingt bonnes minutes d'avance.

Il les avait rapidement perdues. La faute à son téléphone. A trois heures de trajet aussi, trois heures à préférer trouver occupation sur ce petit bijou de technologie plutôt que de laisser ses pensées défiler en même temps que le paysage. Parce qu'Emilien le savait pertinemment, il n'aurait pas simplement pensé, il aurait cogité sans pouvoir s'arrêter et aurait encore mis en doute toute la préparation de son entretien. Evidemment en sortant de la gare la batterie était à bout de souffle. Elle avait tenu encore quatre minutes. Le temps de vérifier une dernière fois l'itinéraire, de se le graver en tête – enfin le pensait-il – et il s'élançait dans la ville.

Les sept minutes suivantes il les avait passé à se perdre. Il avait tenté tant bien que mal d'atteindre sa destination, mais les rues ne semblaient pas tout à fait être à la place qu'il leur avait imaginée et il n'y avait plus aucun support pour vérifier sa route. Alors s'accumulant à chaque pas, l'agacement avait commencé à germer en lui et à grandir. Comme il avait commencé à pester et à reporter sa frustration sur la ville, alors surement la ville avait mal pris la chose.

A présent il est clair qu'elle lui en voulait.

Comment expliquer sinon toutes les embuches qui s'amoncelaient devant lui ? Sur son chemin les panneaux de signalisation ne se révélaient d'aucune aide, ils ne semblèrent enclins qu'à lui indiquer des autoroutes ou à vouloir l'inciter à retourner sur ses pas vers la gare. Il usait sa semelle sur les pavés de la vieille ville, en pestant sur les pigeons qui ne lui cédaient le passage qu'à la dernière seconde. Jugeant mal l'inégalité du sol, il manqua à plusieurs reprises de trébucher. Autour de lui la ville devenait un véritable labyrinthe prêt à l'ingurgiter.

Le jeune homme continua pourtant à marcher, avec obstination, avec urgence également. Dans des moments comme celui-ci Emilien avait l'allure ridicule et maladroite d'un bonhomme en fil de fer, un corps élancé qui avait toujours paru trop grand pour contenir l'homme qu'il était véritablement. La nature avait dû se tromper en l'affublant d'une hauteur pareille, non pas qu'il fut démesurément grand, à peine plus que la moyenne en vérité, mais c'était comme si elle le forçait à avoir un potentiel à réaliser à tout prix alors que son instinct à lui le poussait d'avantage à se faire le plus discret possible.

Emilien essaya alors de se repérer sur les plans des arrêts de bus, minuscule bouts de carte qui lui cachaient l'immensité de la ville. Sans le vouloir il suivit pourtant l'itinéraire de la ligne B12, par malheur, le trajet le plus sinueux de tous.

Au détour d'une rue il fut certain de se retrouver à nouveau devant un magasin qu'il avait déjà croisé. Il tournait en rond. Il se résolu alors à prendre sur lui pour demander son chemin et apostropha timidement un premier badaud en s'excusant. L'homme passa son chemin sans même l'entendre. Derrière une poussette biplace où s'égosillaient deux têtes blondes, une jeune mère aussi haute que large se présenta ensuite. Il l'aborda d'une façon encore plus maladroite mais heureusement haussa suffisamment le ton pour qu'elle l'entende. Elle lui jeta un regard excédé et lui indiqua son chemin en entrecoupant sa réponse de soupirs appuyés :

Le passage des aiguillesWhere stories live. Discover now