Le passage des aiguilles

Le B.A.-Ba de l'oiseleur

Emilien ne comprit pas immédiatement pourquoi il se réveillait dans des draps fleuris le lendemain matin, ni d'où provenait cette odeur si caractéristique d'une pièce fraichement aérée qui semblait l'entourer. Un rayon de soleil tombait directement sur son visage et l'éblouissait. Il se redressa pour échapper à la lumière qui l'aveuglait et redécouvrit la pièce qu'il avait entrevue la veille. Il comprit étonné que, contrairement à ses craintes et malgré les questions et les appréhensions qui l'occupaient, il avait sombré précipitamment dans un sommeil profond et reposant comme s'il avait eu besoin de récupérer d'une longue période d'insomnie.

Il avait dormi dans le salon de Pénélope, sur son canapé. Pénélope... quelle étrange femme. Il se sentait à la fois sous son charme et pourtant également aussi intimidé qu'un môme devant son caractère volontaire. Tous les gens étaient-ils taillés du même bois dans ce monde ? Tout le monde aurait-il été prêt à aider de la sorte le premier étranger venu ?

Ses appartements situés aux dessus de la boutique révélaient un intérieur charmant, une ode à la poésie. Il s'arrêta sur les piles de livres pleines de poussières, sur les vieilles photographies qui tapissaient les murs, il posa les yeux sur le petit guéridon où une tasse de thé refroidi, oubliée là, attendait de se rappeler au bon souvenir de l'occupante des lieux. Au plafond des moulures blanches et des lampions de papiers bariolés formaient un duo improbable. Un univers féminin, un véritable bazar et pourtant Emilien s'y sentait bien, en sécurité.

- « Bien dormi ? »

Elle venait d'apparaître dans l'entrebâillement de la porte, déjà toute prête dans son grand tablier. Comme lui était en sous-vêtement sous les draps il la salua simplement d'un signe de tête endormi. Elle s'en amusa intérieurement.

- « Je ne vous ai pas réveillé j'espère, s'obligea-t-elle à demander avec plus de sérieux. Je dois me lever très tôt à cause des oiseaux.

- Oh non, bailla-t-il malgré lui. J'étais réveillé.

- Comme je vous le disais hier, nous aménagerons les combles pour vous quand nous aurons un peu de temps, vous y serez bien mieux installé que dans le salon ! Je crains que pour le moment ce soit encore la pièce la moins encombrée que j'ai à vous proposer ça vous laisse deviner l'ampleur du désencombrement qui nous attend pour l'autre ! »

Elle hésita un instant, ce n'était pas vraiment dans son habitude, elle n'avait pas tendance à prendre des pincettes pour faire quoi que ce soit, mais depuis qu'elle avait compris qu'un clandestin était rentré dans sa boutique, elle avait été gagnée par l'excitation. Elle devait prendre sur elle pour ne pas laisser entrevoir qu'elle était plongée dans ce sentiment d'anticipation exalté qui précède les grandes aventures. Sans cesse elle devait se rappeler en regardant cet homme maladroit qu'il provenait d'un monde avec d'autres usages et qu'il lui suffirait de mal interpréter un seul de ses gestes pour mettre un terme aux chances de vivre ce que cette rencontre pouvait lui offrir.

- « Vous pouvez vous laver si vous le souhaitez, la salle d'eau est juste là, au bout du couloir. Je vous ai préparé des affaires sur la chaise, elles seront peut-être un peu justes, elles étaient à mon père et je crois qu'il n'était pas aussi grand que vous, mais si cela peut vous aller ce sera probablement plus discret que ce que vous portiez en arrivant.

- Merci pour tout, sourit Emilien.

- Je vais préparer le petit déjeuner pendant ce temps-là, rejoignez moi dans la cuisine quand vous avez fini. »

Elle se retourna avec grâce et disparu sans attendre.

Il se pressa pour rejoindre la salle de bain et c'est avec curiosité qu'il déplia les affaires qu'elle avait déposé là. Pantalon droit et veston assorti dans des tons crèmes avec de fins liserés plus clairs sur la hauteur, une chemise blanche taillée dans un tissu léger, le tout était élégant même s'il eut la sensation de tenir un costume pour une soirée déguisée dont le thème aurait été l'entre-deux-guerres.