troisième lettre

2.4K 406 108
                                    

Dimanche

Cher futur Léo,

J'y suis allé. À la pelouse, je veux dire. Il était 14 heures 59 et la vieille dame aux cheveux violets tricotait une autre écharpe. Elle tricote toujours quand son petit-fils n'est pas avec elle ; j'imagine qu'elle est un peu accro. Peut-être qu'elle a eu un traumatisme quand elle était plus jeune, peut-être que sa mère tricotait et lui a demandé, sur son lit de mort, de lui fabriquer une écharpe pour son enterrement ? Cette vieille dame est si douée qu'elle tricote en regardant les alentours. J'aimerais être aussi doué que ça dans quelque chose.

Bref, j'y suis allé et à 14 heures 59, Théo était devant le salon de thé. Je me suis demandé si je devais aller à sa rencontre et j'en suis venu à la conclusion que non. Je n'avais pas envie de bouger et je n'avais pas envie d'aller le voir et je n'avais pas envie qu'il me demande mon aide alors que j'étais incapable d'aider qui que ce soit.

De ce fait j'ai détourné la tête et j'ai tourné le dos au salon de thé, et donc à Théo. C'est nul d'avoir fait ça, je le sais. Je lui avais dit que je serais là mais je me suis dégonflé. Enfin, ça ne l'a pas arrêté pour autant.

J'ai senti une main sur mon épaule. Je savais que c'était lui.

« Tu es le type d'hier ? »

Je me suis retourné. Théo avait ses lunettes de soleil posées sur ses cheveux bouclés et, quand il m'a reconnu, un sourire s'est fait voir sur son visage.

J'ai paniqué ; comment lui expliquer pourquoi je n'étais pas dans le café ? Bon, je n'étais pas loin, mais je n'avais même pas daigné le chercher du regard.

« Je sais comment tu peux m'aider. »

Ah. Aider = relation sociale. Moi pas aimer relation sociale.

Je l'ai regardé fixement pour qu'il développe.

« Fais semblant d'être mon nouveau copain à une soirée. »

Aider = relations sociales. Moi aimer encore moins les relations sociales.

Je ne pouvais pas lui dire oui. Je ne sais pas comment me comporter en société, quelle aide pourrais-je lui apporter ? On voit bien qu'il ne me connaît pas. Aucune personne saine d'esprit me connaissant n'aurait l'idée de demander mon aide pour aller à une soirée. Je n'avais jamais mis les pieds à une fête et ce n'était pas prêt d'arriver.

« Non.

— Tu m'as dit que tu le ferais.

— J'ai dit qu'on verrait, nuance. Et j'ai vu : je ne veux pas faire ça.

— Ce n'est rien du tout ! Tu dois juste rester à côté de moi et faire en sorte de te comporter comme si on s'aimait bien.

— De tout façon je ne pourrais pas ce jour-là.

— Je ne t'ai même pas dit quel jour c'était... »

J'ai soupiré. Quelle importance ? Ce n'est pas comme si ma mère accepterait de me laisser sortir en semaine ou bien le dimanche soir.

« Je ne sors pas. C'est comme ça. Tu as l'intention de rester longtemps ici, à me cacher le soleil ? J'ai d'autres choses à faire.

— Tu es tellement insolent ! a-t-il dit avec un sourire, avant de s'assoir à mes côtés. Comment tu t'appelles ?

— C'est une façon de me pousser à accepter ta proposition ? Car ce sera toujours la même réponse : non.

— Ou alors je veux juste connaître le prénom de la personne avec qui je parle ? C'est envisageable ?

la pelouse de la gareWhere stories live. Discover now