xx Suite de la traversée - coup de tabac 2 xx

25 6 8
                                    


Nous étions à mi-chemin des Portes. L'équipage se réveilla doucement, à l'exception d'Ilunber qui était de quart. J'allai apporter leur thé à Erregina et Karia. Elle le prit en silence, visiblement particulièrement concentrée ou en colère ce matin. Je retournai à ma place sans demander mon reste.

Peu après elle quitta sa table et se dirigea droit vers moi.

- Toi. Viens voir par ici.

A sa voix j'entendis qu'elle essayait de contenir sa rage. Je la suivis vers l'avant du navire. Nous trouvâmes où nous isoler.

- La dernière nuit que nous avons passée ensemble. Tu sais ? Quand tu m'as forcée... Bon sang espèce de salaud, tu aurais pu te contrôler !

Elle parlait par saccades, sa mâchoire était crispée. Je voyais qu'elle avait envie de me sauter à la gorge. Je savais que cette nuit n'avait pas été idéale, mais je ne l'avais pas prise malgré elle. Jamais je n'aurai voulu la forcer. Quelle puisse m'en croire capable me fit encore plus de mal que les mots eux-mêmes. Je n'avais pu me contrôler ? Effectivement, mais je lui avais clairement dit. Elle m'avait répondu que cela n'avait pas d'importance. J'avais insisté, elle aussi. J'étais convaincu que nous nous étions compris. Je lui rappelai tout cela.

- Non mais c'est pas possible, poursuivit-elle. Je suis peut-être ENCEINTE. Tu te rends compte de la merde dans laquelle tu me fous ! Bon sang j'arrive pas à le croire. J'ai jamais vu quelqu'un d'aussi minable... et il faut que ça tombe sur moi !

- Karia, je t'en prie, je t'avais dit... je pensais qu'on s'était compris...

J'essayai de lui prendre la main. Elle retira vivement son bras.

- Tu ne me touches pas tu m'entends ! Plus jamais ! Putain, et dire qu'on est sur le même bateau ! Mais qu'est-ce qui a bien pu me prendre ? Au moins avec le précédent j'avais été heureuse, dès le début. Mais avec toi je me fais chier. Tu m'entends ? T'es chiant, tu ne me fais même pas rire.

- Karia, je ...

- Si jamais... tu m'entends... Si jamais ! Je te jure que tu t'en souviendras toute ta vie. Aller, fous le camp. Je gère toute seule. Comme toujours.

Je m'éloignai d'elle. Ce que je regrettais le plus n'était pourtant pas qu'elle me repousse une nouvelle fois, même avec cette violence. Non, ce que je regrettais le plus c'était qu'elle refuse mon aide. Je ne voulais pas la laisser seule, mais c'était visiblement d'après elle ce que j'avais de mieux à faire. Je retournai donc à ma place, une fois de plus.

Erregina vint m'y rejoindre.

- Kornelio, si tu veux on peut parler un peu...

J'acceptai et la suivis un peu plus loin. Je lui expliquai ce qui s'était passé.

- Tu veux que j'aille lui parler ? Me proposa-t-elle.

- Non, inutile. De toute manière elle ne te croirait pas. Elle ne croirait rien qui puisse me faire passer pour autre chose qu'un monstre.

- Kornelio, tu n'es pas coupable. Fautif, peut-être, mais vous l'avez été en partie tous les deux. Vous ne vous êtes pas compris, c'est tout.

- Oui, c'est ça. C'est tout. Mais c'est grave.

Parler me fit du bien. Trouver quelqu'un qui m'écoute sans m'envoyer au diable, une sensibilité féminine surtout, plus réceptive à ces sujets. Je retournai me calmer puis montai à bord de ma pirogue. J'avais besoin de m'isoler un peu plus. Naviguer seul me ferait du bien.

La mer était sombre et le vent pas assez violent à mon goût. Je regardais les choses de loin. Moi qui m'étais émerveillé pour tout cela, j'étais maintenant hors du monde. Ce n'était qu'un jeu stupide et cruel dont j'attendais la fin. Quand en fin d'après midi je rentrai au Miroir, je trouvai à ma place un sac. Je l'ouvris, il contenait les instruments de géomètre que j'avais prêté à Karia, ainsi qu'un message. Succinct.

'Livre. Ruban noir'.

Les deux seules choses encore en ma possession qu'elle m'avait de son côté prêtées. Le livre n'avait pas vraiment d'importance. Par contre, le ruban était une autre histoire. Il était un petit morceau d'elle que j'avais gardé à mes côtés : l'odeur de ses cheveux. Je retirai les instruments du sac, les remplaçai par le livre et le ruban et allai déposer le sac au pied de la table de Karia.

Ces derniers temps elle était devenue experte dans l'exercice de passer devant moi et déposer discrètement un message sur mes affaires. Elle n'avait même plus à prétexter d'une carte et cela lui évitait de croiser mon regard. J'en étais arrivé à redouter ses missives. Cela ne se fit pas attendre.

'Je reste là à bosser avec toi parce que je n'ai pas le choix, mais ne t'avise pas ne serait-ce qu'à m'adresser la parole. Je te l'INTERDIS. Si tu as quelque chose à me demander, passe par Gurutz ou Erregina'.

Elle guettait ma réaction, je lui fis 'entendu' de la tête, les lèvres serrées. Quelques instants plus tard elle repassa.

'Tu es vraiment une ordure. Tu m'as fait passer pour la méchante et tu as réussi à me couper du reste de l'équipage. Tu peux être fier de toi, tu as foutu une belle merde non seulement dans ma vie mais dans ce qui faisait l'harmonie de ce bateau. Tu n'es qu'un sale gosse égoïste qui casse tout. Ça non plus je ne te le pardonnerai jamais. Mais évidemment tu t'en fous'.

Je ne lui répondis pas. N'importe qui m'aurait fait le millième de ce qu'elle me faisait et je l'aurais déjà passé par-dessus bord avec le plus grand plaisir. Mais j'étais toujours incapable de la moindre réaction de défense contre elle.

Nous étions à une semaine des Portes. Là nous ferions escale pendant quatre jours, pour les habituels ravitaillements et être certains que les restes de mauvais temps seraient oubliés, avant de nous lancer sur l'océan. Nous avions trouvé un mode de fonctionnement très simple, Karia et moi : nous éviter.

Cela faisait quelques jours qu'elle n'avait pas lacéré un peu de ma personne avec ses messages, mais je savais que cela pouvait tomber à tout instant. Je ne m'étais pas trompé.

'La machine humaine étant ce qu'elle est, je ne sais pas encore avec certitude. Je serais de toutes manières fixée avant que nous arrivions aux portes.

Si jamais par malheur... alors certaines personnes là-bas savent très bien vous débarrasser de ce genre de problème. Mais tout à un coût, alors voilà ce que tu me devras. Et j'espère que tu ne vas pas te défiler cette fois. Tu n'as pas intérêt.

...'

Suivaient le détail et le décompte de ce qu'elle estimait que cela coûterait. Tout y était, depuis les services de 'certaines personnes' jusqu'à la liste complète des frais annexes. Je lui écrivis que l'argent n'était pas un problème et lui demandai quoi faire d'autre pour l'aider. Elle me répondit que, de ma part, l'argent suffirait.


La CartographeKde žijí příběhy. Začni objevovat